a priori —  

l'escapade précédente l'avait mené à traverser la forêt présente dans l'enceinte du mur rose, ce qui, de fait, avait aussi irrémédiablement conduit ses vêtements à être malmenés et un coup de genou - donné récemment - avait finit de craquer un pantalon déjà usé.
il regardait avec un certain ennui l'état de ses affaires, calculant jusqu'à quel point il pouvait pousser le vice de ne pas les faire repriser. mais l'évidence qui s'imposait à lui était la suivante : il allait devoir interrompre ses affaires pour aller porter ses vêtements chez une des couturières du coin.

un grognement insatisfait s'échappa de sa bouche entrouverte. il attrapa d'un geste vif ses affaires et sort de chez lui d'un pas rapide.
la petite cloche accrochée en haut de la porte émit un tintement clair quand il entra dans la boutique, les regards se tournèrent vers lui. il ne sourit pas.
ne rendit pas la politesse.

— plus souvent que je voudrais, oui.

il dépose ses affaires lourdement sur ce qui servait de comptoir à la boutique, et avec ça, de quoi payer les petites mains qui rafistoleraient ses affaires avec doigté.

la question énoncée par la jeune femme eut le mérite de lui faire hausser un sourcil de par son caractère inattendu et incongru. avait-il, pendant un court instant, fait preuve d'assez d'amabilité pour mériter une telle demande ?
si c'était le cas, il se relâchait et c'était déplaisant.

— pourquoi voudriez-vous que je fasse ça ?

il réussit tout de même à contenir une remarque sur le "thé", tout juste de l'eau chaude et de l'herbe pour lui - et pas franchement quelque chose d'agréable à boire.

a priori —  

dire qu'il était content de voir cette jeune femme aurait été un mensonge éhonté. il la connaissait, maintenant - ou du moins il avait, depuis les premières rencontres, cerné quelques traits de sa personnalité qui le laissait non seulement perplexe mais qui avait aussi le don de l'agacer de temps à autres. surtout si il manquait de sommeil ou que son humeur était agitée par quelque chose d'extérieur.
bien heureusement pour mademoiselle rosenthal, ce jour-ci n'était pas un jour sans. et aurèle était disposé à ne pas être un horrible personnage - ou du moins, pas le pire qu'il puisse offrir.

il la regarda faire du coin de l’œil, ses lèvres scellées dans un rictus plus que contenu. et ses sourcils restaient froncés, parce qu'il n'était pas dupe. elle avait visiblement décidé à sa place qu'il avait le "droit à une pause" et quoi qu'il puisse dire, elle ne dévierait probablement pas de cette ineptie. il trouvait cela fort fâcheux, étant donné le fait qu'il avait plus ou moins décidé de s'en aller à la seconde même où ses affaires seraient prises en compte.

elle lui tendit un verre d'eau. qu'il regarda pendant de très longues secondes, sa mâchoire crispée pour ne pas laisser sortir les quelques mots véritablement désagréables qu'il avait envie de lui asséner.
mais en faisant ça, il risquait de perdre une bonne couturière - et ce salon était le plus proche de chez lui. la question pratique se posait véritablement.
alors il ne dit rien. et finit par prendre le verre après un moment qui avait du paraître bien trop long.

— je suppose que je peux accepter de l'eau, oui.

il porta le verre à sa bouche et bu une gorgée. l'effort était pour lui d'une réelle complexité et son visage se figea quelques instants dans une grimace avant qu'il ne finisse par le poser sur le comptoir devant lui.
le sourire de cette jeune femme était persistant et véritablement peu intéressant en tant que tel. il jugea qu'elle était probablement légèrement limitée, pour continuer d'arborer une telle expression alors que cela faisait déjà plusieurs fois qu'ils se croisaient.
personne ayant un minimum d'estime de soi ne souriait au capitaine belmont deux fois de suite.

— il faudra combien de temps pour que je puisse récupérer mes affaires ?

il la fixait sans ciller, un rocher aurait été plus expressif et chaleureux.

a priori —  

la réponse lui fit pousser un bref soupir. non pas qu'il ne se doutait pas que les réparations prendraient un certain temps - mais il avait tout de même espéré ne pas avoir à attendre jusque là. cependant, ses vêtements étaient dans un état de dégradation qui suggérait que leur raccommodage serait fastidieux.

— pas de livraisons, je repasserais.

sa réponse obtenue, il esquissa un mouvement dans le but de sortir de la boutique. il n'y avait rien à faire de plus ici et des tâches plus intéressantes s'offraient à lui en retournant auprès de ses pairs. de plus, il avait un grand besoin d'exercice et malmener les jeunes recrues faisait un bon divertissement.
malheureusement, la jeune femme ne semblait pas en avoir terminé avec lui et elle était visiblement d'humeur à l'enquiquiner le plus longtemps possible. l'information évidente dont elle lui fit part n'eut que pour seul effet d'augmenter son niveau d'intolérance.
il laissa échapper un bruit semblable à un grognement de mécontentement, à deux doigts de devenir véritablement désagréable.

mademoiselle rosenthal posa alors une question.
la lèvre supérieure d'aurèle se retroussa légèrement dans un rictus animal.
et le capitaine belmont pencha son épaisse carcasse et son visage abîmé vers son interlocutrice. son regard aurait fait frissonner bien plus costaud qu'elle.

— je suis quelqu'un de violent. mes journées le sont aussi.

un certaine forme d'humour. plus destiné à son propre amusement qu'à celui de la jeune femme. il était assez cynique pour ne pas s'attendre à grand chose de sa part. pas beaucoup plus qu'une réaction prévue et un malaise ambiant.
il se redressa finalement, son visage reprenant une expression figée. une fois de plus, il était en tous point égal à lui-même.

a priori —  


sa réaction fut prévisible et en cela, il était satisfait. peut-être n'était-elle pas si idiote qu'elle en avait l'air puisqu'elle était capable de le craindre. il se prit même à rire intérieurement de cet échange qui - quoi qu'il puisse être sans grand intérêt - lui apportait au moins son quota d'interactions avec le genre humain de la journée. d'interactions qu'il qualifierait lui même de "normales".
pas sûr cependant que la jeune dame soit de cet avis à ce propos...

ceci dit, il ne faisait pas grand cas des sentiments d'autrui à l'heure actuel, et elle ne faisait pas partie intégrante des gens pour qui il avait intérêt de développer un intéressement qui soit autre que celui qui le limitait à lui amener ses vêtement lorsque ces derniers étaient décousus et filés.
enfin, cependant, l'effet voulu s'offrait enfin à lui, elle lui permettait poliment de prendre congé et - quoi qu'il puisse en dire - il respectait un minimum les gens de la noblesse pour s’exécuter de la façon la plus polie qu'il connaisse en leur présence.

opinant alors du chef, il lui souhaita la bonne journée - quoi que ses paroles eut pu sonner faux, son intention n'y étant pas. ne restait qu'une plate politesse conditionnée par des années de service auprès de sa majesté et de sa cour.

mais, en d'autres circonstances, il ne faisait aucun doutes qu'il aurait probablement pris un malin plaisir à se montrer bien plus dérangeant et vil qu'en ce bref échange de politesses. et en sortant, un geste de la main dans l'encadrement de la porte, il était persuadé que même mademoiselle rosenthal en était consciente.