Dérangée. Ça fait sans nul doute possible parti des adjectifs qui peuvent très facilement te résumer. Bien entendu, ce n’est pas quelque chose que tu affiches fièrement, mais c’est tout de même une chose dont tu as conscience et ça, c’est un début. Pour commencer, il y a cette espèce de mini culte que tu voues au Roi. Le Roi, oui. L’homme qui dirige les murs et qui finalement, n’a même jamais posé les yeux sur toi. Ce qui est normal, on en conviendra. Mais ce n’est pas le pire. Non, le pire … c’est probablement ce que tu es présentement en train de faire. Tu ne travailles pas, non. Tu n’es pas en mission, non plus. Pourtant, tu es perchée, sur ce toit, appuyée contre la cheminée, une capuche sombre rabattue sur tes cheveux. Tu es douée pour te cacher, pour profiter des ombres de la nuit qui s’installe, peu à peu. Tu sais devenir quasiment invisible. Presque une seconde nature. Sauf que d’habitude, tu utilisais ces aptitudes, ces talents, peu importe, pour travailler. Pour mener à bien des missions confiées par le Roi. Réunir des informations, surveiller certaines personnes … tu savais faire. Le truc, c’est que là, c’est un membre de la section que tu étais en train de suivre et d’observer à la dérobée. Pourquoi ? Oh, c’était … plutôt simple en vérité. L’homme que tu avais actuellement dans ton champ de vision bossait avec toi depuis quelques années déjà. Depuis un peu moins d’un an maintenant, il était aussi le Capitaine responsable de la section. En clair ? C’était ton supérieur direct. Et le truc avec lui … c’était tout simplement que tu aimais son style. Un peu comme les gamins qui observent le Bataillon les yeux brillants en rêvant de devenir des héros comme eux. Tu fais pareil. Mais avec Aurèle. Tu n’as pas vraiment d’explication. Ce n’est même pas une personne particulièrement agréable. Il est juste … doué. Et puis, finalement, tu aimes cette image qu’il envoi de lui-même. Ou alors c’est juste le côté mystérieux. Un mélange de tout ça ? Probablement.

Toujours est-il que tu en es rendue à le suivre. L’observer. Parce que forcément, ce n’est pas quelqu’un que tu fréquentes en dehors des missions ordonnées par le Roi. Tu ne le connais pas. Alors, ouais. Tu veux savoir, tu veux voir de tes yeux ce que le Capitaine Belmont peut bien faire de ses journées, parce que tu te poses environ mille questions. Est-ce qu’il est marié ? Est-ce qu’il aime la soupe de potiron ? Est-ce qu’il est plutôt bière ou alcool fort ? Bref. Tu ne le lâcheras pas d’une semelle ce soir, et tu veux tout savoir. Vraiment tout.

Tes yeux le suivent, et sa progression relativement lente te facilite la tâche, elle te permet d’éviter de bouger trop souvent et d’aller un point A à un point B sans prendre le risque de le perdre de vue. Tu ne sais même pas où il va, encore une fois, ce district est loin d’être ton terrain de jeu favori. Tu t’y perds bien trop facilement, te repérer ici est une épreuve plus que difficile et tu n’as jamais su pourquoi. Ce n’était pourtant pas faute de demander tes patrouilles dans le coin le plus souvent possible.

Heureusement, ton activité du soir ne nécessitait pas spécialement de s’orienter. Tu te contentes de suivre, espérant pouvoir garder l’œil sur lui. Tu es même déjà en train d’élaborer une stratégie ou deux au cas ou il aurait l’idée d’entrer dans un bâtiment tel qu’une taverne, un bar, quelque chose du genre. Tu as tout prévu, ou presque et le plus étonnant en vérité c’est de constater que tout semble se passer pour le mieux, du moins pour le moment. Oh, tu sais de quoi il est capable … tu mises sur tes talents, il était bien capable de te mettre la main dessus mais pour le moment, visiblement, ça n’était pas le cas. Petite naïve.

Tu le lâches de yeux, juste quelques secondes, le temps de prendre un peu de hauteur et de te rapprocher, aussi. Tu viens t’accroupir sur le rebord d’un toit, en équilibre, faisant finalement claquer ta langue contre ton palais lorsque tu te rends compte qu’il quitte la rue pour entrer quelque part. Un logement. Un appartement ? Peu importe. Il rentre chez lui, à première vue et tu perds la visibilité. Du coup, tu prends le risque de redescendre un peu. Au final, tu reviens au sol, te faufilant dans une ruelle, un cul de sac en fait, et tu appuie ton épaule contre un coin de mur. Pas de lumière au dessus de ta tête. Tu es dans le noir. Invisible, ou presque. Toi, en revanche tu y vois clair avec la lumière allumée chez lui. Tu le vois même parfaitement lorsqu’il commence à se a se déshabiller. Par réflexe, tu détournes le regard avant de soupirer lourdement. Tu te poses, pendant environ vingt-deux secondes la question de savoir si ce que tu fais est correct. La réponse est non. Ceci dit, ça ne t’empêche pas de reposer les yeux sur lui. Tu finiras sans doute par en avoir marre d’être plantée là mais pour le moment, tu as trouvé le point d’observation idéal.

Tu n’en perds pas une miette. Pas une, non. Ton raisonnement est simple : tu continues de te dire que tu resteras la seule à savoir ce que tu as fait et surtout ce que tu as vu, exactement. Rien à craindre. Pas d’explication à donner. Ça n’appartiendra qu’à toi, parce qu’évidemment, tu n’en parleras pas. Jamais. Il n’y a pas à dire, penser de cette manière te retires comme un poids de l’estomac. C’est pas vraiment une question d’éthique, tu élimines des gens pour obéir au Roi, sans même te poser la moindre question alors l’éthique … Non, en vérité, à la base, c’est plus une question de respect. Mais le respect, ça s’applique en public, en face à face, par derrière, tu peux bien passer outre quelques petites règles.

Il a pratiquement tout retiré. Presque tout. Et après quelques secondes, tu perds le visuel. Il disparaît dans une autre pièce et tu ne prends pas le risque de bouger, tu restes là, le regard fixé sur l’intérieur de la pièce éclairée, pensant le voir revenir sous peu. Sauf que tu te trompes. Tu n’entends rien. Et tu ne vois rien venir non plus. Du moins, pas avant que ses doigts ne viennent serrer sa gorge, pas avant que cette dague ne vienne chatouiller de façon tout à fait désagréable le bas de ton dos. Forcément.

Il sert, juste encore un peu plus, et tu grimaces. Tu déglutis difficilement tandis que ton regard se fixe sur ce reflet à peine perceptible dans la vitre. Tu en vois bien assez. Il t’a reconnue. Tu es grillée. La lame s’efface mais ses doigts eux, restent bien en place sur ta gorge. « J’aurais dû le voir venir… » En fait, c’était même plutôt prévisible. Il était dans le vrai, tu avais été stupide. Stupide et naïve de penser que tu pourrais réussir un truc dans ce genre là sans qu’il ne te mette la main dessus. Après tout, il était sans nul doute bien plus doué que toi à ce petit jeu et les doigts autour de ton cou en étaient les preuves indiscutables. « Ça vous arrive souvent d’agresser les gens dans la rue, comme ça ? » Comme si tu allais admettre les choses si facilement. Il fallait bien que tu continues de faire la maligne, juste encore un peu, même si la petite voix dans ta tête était déjà en train de te dire – de te hurler – que franchement, c’était pas une bonne idée ça non plus. « Vous allez attraper froid, Capitaine. » Après tout, les températures étaient largement passées sous le zéro, et il était pratiquement nu derrière toi.

Il pourrait te tuer. Tu ne doutes pas une seconde qu’il en soit capable, comme ça, sur l’instant, juste en serrant davantage d’un coup. Tu n’aurais aucune chance, Ash. Strictement aucune. Sans doute pour ça, aussi, que tu ne tentes rien. Pas un geste, pas un mouvement, rien qui pourrait paraître menaçant ou laisser penser que tu allais tenter quelque chose de stupide … rien que des mots. Des mots inutiles que tu aurais sans doute mieux fait de garder pour toi, mais tu vois, si tu étais du genre prudente et sage, ça se saurait.

Une grimace. Il te fait mal. Tu manques un peu d’air. Pas au point de suffoquer, mais ça se ressent, c’est gênant. Disons que tu ne pourrais pas rester comme ça trop longtemps, pas sans ressentir l’envie de dégager ses doigts, du moins. Cependant, il finit par bouger, ses doigts te retenant toujours, il te vire, sans ménagement de son chemin, avant de relâcher la pression. Tu portes immédiatement les doigts sur ta gorge douloureuse, tu as le souffle court.

Et elle tombe. La gifle. Violente, relativement puissante, mine de rien. Elle claque dans l’air, vient brûler ta joue et te force à tourner la tête, puis à reculer d’un pas. Et évidemment, elle fait monter ta colère, par automatisme. Tu tournes de nouveau la tête, ton regard humide de rage se pose sur son dos, tu sers les poings. N’importe qui d’autre se serait retrouvé avec une lame plantée dans le dos … ou la gorge tranchée. Forcément, tu te contentes de contenir. Tu souffles, discrètement. Manquerait plus que tu l’énerves davantage.

Le suivre … drôle de manière de faire avec quelqu’un qu’on prend en flagrant délit d’espionnage. Tu hésites, un instant. Finalement, ce serait contre-productif d’essayer de fuir maintenant. Au moins, en entrant, tu pourras l’observer plus facilement. Tu finis par suivre, donc. Tu avises la bouilloire, la tasse, le reste de la pièce et … « C’est une tentative d’intimidation ? » Non parce que si c’est le cas, ça marche. Toi qui n’es pas si timide, au contraire, même. Tu te sens brutalement relativement mal à l’aise. Est-ce qu’il était vraiment obligé de faire ça ? « Désolée, mais même si ça fait parti des règles de la maison, je garde mes fringues, m’en voulez pas. » C’est ça, continue. En attendant, tu fixes le mur depuis cinq minutes sans oser regarder ailleurs que ça. Et puis surtout, tu sais que t’es clairement en position de faiblesse maintenant, l’agneau dans l’antre du loup. C’est désagréable…