Tu ne t’éloignais plus. Du moins, plus trop. Plus autant. Tu évitais d’aller seule au milieu des foules de la population de ce mur que finalement, tu connaissais encore bien trop peu. Tu n’avais pas envie qu’il t’arrive encore un pépin, pas envie de croiser la route de personnes qui te voudrais du mal non plus, et puis, tu étais décidée à apprendre, oui, mais aussi à écouter et à cesser de n’en faire qu’à ta tête. L’épisode de Karanes était suffisant. Ce qui avait suivi encore plus. Certains mots pesaient encore, ils étaient là, mais c’était un mal pour un bien puisque ça te poussait à avancer, et surtout à te résonner.

Du coup, tu sortais, oui. Parce que rester enfermée n’était pas dans tes objectifs de vie et parce que, quand Ian devait travailler, tu te retrouvais atrocement seule et que tu n’aimais vraiment pas ça. Mais tu restais prudente, tu avais mémorisé un chemin pour aller jusqu’au marché et à la rue commerçante, et tu ne t’en éloignais pas. Tu évitais de parler aussi, encore un conseil de Ian. Tu te cachais sous une cape longue, une capuche sur tes longs cheveux pour éviter qu’on ne te remarque trop facilement. Et surtout, tu ne passais pas des heures a errer, tu rentrais toujours relativement vite, quitte à ressortir ensuite, un peu plus tard. Pour le moment, c’était comme ça. Tu finirais par t’en sortir bien mieux, mais tu voulais à tout prix éviter de causer du souci à celui qui avait la patience, la bonté, et surtout la générosité de te garder chez lui.

Tu étais sortie assez tôt. La capuche précautionneusement calée sur tes cheveux, tu déambulais, marchant lentement entre les étales du marché, tête baissée pour éviter de croiser les regards et essayant un maximum de ne pas bousculer les épaules qui frôlaient les tiennes…

Il y a du monde. Vraiment beaucoup de monde tout à coup … et tu te sens rapidement oppressée. C’est fou, et peut-être un peu ridicule aussi mais tu as l’impression qu’il pourrait t’arriver quelque chose de mauvais d’une minute à l’autre. Alors, tu te presses, tu fais demi-tour à la hâte pour rentrer au plus vite. Il est encore tôt pourtant. Tant pis, tu reviendras plus tard. Peut-être. Pour le moment, tu n’es juste plus assez sereine pour continuer cette marche, cette balade. Mais soudain, alors que tu essaies en vain de te frayer un chemin à travers un groupe de personnes agglutinées, tu sens ce poids qui vient frapper l’arrière de ton crâne. Tu entends un son, un son métallique et sous l’effet du choc, tu trébuches, te rattrapant de justesse par tu ne sais quel miracle. Tu te retournes vivement, relâchant la capuche que tu te tenais fermement en avançant et qui finalement glisse le long de ta chevelure et retombe sur tes épaules. Ta main vient masser l’arrière de ton crâne. Tu grimaces. « Vous êtes bien maladroit … » Tu t’arrêtes immédiatement. C’est vrai, que tu dois éviter de parler comme ça. Ton langage est trop soutenu. C’est le langage de la noblesse. Comment est-ce que Ian aurait dit les choses … voyons … « Fait chier hein. » … ouais voilà, un truc comme ça.

Comment est-ce qu’on fait dans ces cas-là ? On fuit ? On cri ? On se fâche ? Non. Il était bien plus grand que toi. Sans doute bien plus fort, aussi, du coup. L’énerver était probablement la pire idée au monde. Cependant, tu conserves cette mine faussement énervée. Faussement parce que tu ne l’es pas réellement. Tu as juste un peu mal … « P-pardon ? » Pourquoi est-ce que tu avais l’impression que les gens du coin parlaient une autre langue ? C’est fou ça, tu comprenais les mots, mais l’ensemble de ces derniers ne semblaient jamais s’accorder avec les situations. Tout le monde était si familier. Tu rougis. « Je ne vous permet pas. » Mince. Chassez le naturel, il revient au galop. Tu as beau essayer de reprendre contenance, c’est foutu, maintenant, il a réussi à te déstabiliser. Du coup, maintenant, tu songes à fuir … le problème étant qu’il se trouve sur ton chemin et que même si tu essayais de passer en force, il pourrait largement t’arrêter. Du coup, tu ne tentes pas. « Je ne vois absolument pas ce qui vous fait dire une telle chose, enfin. » Non, on ne voit pas, vraiment pas. « Attendez, qu’est-ce qui se voit ? Comment ça ? »