Il se sentait étrangement motivé, aujourd’hui. Un coup de boost, sans doute avait-il avaler trop de thé. Ou alors, était-ce simplement l’adrénaline combinée à la colère qu’il ressentait face aux évènements récents. Avec Adam, c’était toujours comme ça, il ne savait pas trop sur qui il devait diriger la colère qui grandissait en lui, du coup, il la dirigeait sur approximativement tout le monde, et surtout, sur n’importe qui. Parfois, il lui arrivait de se mettre à bosser avec acharnement pour faire passer … Au final, ce n’était pas plus mal quand on savait ce que pouvait donner ses coups de colère.

Il avait ouvert tôt. Bien avant que la serveuse ne pointe le bout de son nez. Il avait géré sans elle pendant deux heures, avant de retourner derrière son bar. Là, il s’était mis à servir les clients, à la chaîne, sans sourire, sans amabilité, c’est qu’il ne fallait pas trop lui en demander. Disons qu’il compensait. Les gens semblaient avoir besoin de grandes quantités d’alcool pour digérer l’épisode de l’apparition de ce titan … et il avait justement beaucoup d’alcool. Autant faire du chiffre. Triste occasion, mais occasion quand même. C’était ça, aussi, le monde des affaires.

Une voix l’interpelle. Ses yeux se posent sur cette jeune femme. Elle n’est pas banale. Ses cheveux, surtout. Alors il s’attarde un court instant sur elle, sur son regard aussi, ses yeux, avant de reprendre cette moue boudeuse qui lui allait si bien.

« Vous l’avez devant vous, m’zelle. Qu’est-ce que je vous sers ? »

D’une oreille il l’écoute, d’une main il attrape la large bouteille de verre bien fermée, de l’autre un verre adapté qu’il vient poser devant elle, sur le comptoir avant d’y servir le liquide jaune brillant à l’odeur légèrement fruitée et acidulée. Par habitude, ses gestes semblent calculés, très professionnels, et puis finalement, il rebouche la bouteille avec soin, la posant à côté de lui avant de poser les deux mains sur le bois du bar.

Il a évidemment parfaitement compris ce qu’elle voulait. Etant donné qu’il est dans un bon jour – rappelons le, c’est assez rare – il n’a pas encore refuser de façon tout à fait catégorique. Non, en fait, étonnamment, il est même en train de peser le pour, le contre.

« Pour combien de temps ? Et quel genre de spectacle ? »

Voilà même qu’il se renseigne. Il pense pratique, en réalité. Il se dit que ça ne peut pas faire de mal, qu’au contraire, ça pourrait lui amener de la recette supplémentaire ce qui par les temps qui courent n’est pas de refus.

« Et ça veut dire quoi pour vous, les jours à venir ? Soyez plus précise. »

Il attrape un nouveau verre, derrière lui, et puis il fait signe à la serveuse de gérer toute seule pour un moment histoire qu’il puisse offrir son temps et toute son attention à cette jeune femme. Il se sert un verre, tire un tabouret de son côté du comptoir pour s’y asseoir et il s’installe, plus confortablement face à elle. Bien mieux comme ça pour parler affaires, n’est-ce pas ?

« Puis-je me permettre de parler franchement, mademoiselle … Hélia ? »

Il demande, mais il va donner le fond de sa pensée sans attendre qu’elle lui donne son avis. Disons qu’il aura au moins fait une tentative pour être poli. C’est déjà ça, non ?

« Je ne sais pas comme c’est par chez vous, mais avec le nombre de soldats qui passent par ma taverne pour y engloutir des litres et des litres d’alcool et taper sur les fesses de mes serveuses … Je dirais que vous pouvez sans problème vous permettre de choses plus osées, comme vous les appelez. »

Il avale une longue gorgée de son verre, grimace légèrement sous le goût un peu acide de la boisson avant de reposer son verre devant lui.

« Le week-end prochain m’ira parfaitement. »

Il se contente de hocher la tête. Ça lui va. De toutes façons, il n’a jamais rien de prévu à la taverne, c’est toujours la même routine dans sa modeste maison. Il se dit que ça changera un peu, que ça attirera du monde, de nouveaux clients, qu’il fera une bonne recette pour les deux jours, aussi. Bref, que du bénéfice. En plus, elle lui assure qu’ils feront ça de façon relativement sécurisée, aussi dans le but de préserver sa taverne et ça, forcément, ça tape en plein dans le mille avec lui. Fallait dire qu’il était du genre à fracasser le nez d’un type qui aurait eu le malheur de lui casser un verre, surtout dans ses mauvais jours.

« Parfait, ça me va. Je ferais en sorte d’afficher le nom de votre cabaret sur la devanture … il faudra que vous me laissiez les informations nécessaires. »

Même la prostitution lui convenait. Les gens de ce cabaret pouvaient bien faire du chiffre ici, il savait qu’il en ferait tout autant grâce à ça … et puis, c’était devenu monnaie courante, il n’était pas du genre à s’offusquer pour ça. En revanche, sa langue claque contre son palais lorsqu’elle retire sa cape et lui propose une démonstration. Un sourire apparait au coin de ses lèvres. Elle est vraiment belle.

« Vous êtes vraiment … très convaincante. Et croyez bien que si j’avais le temps, et un peu plus d’alcool dans les veines, c’aurait été avec plaisir. On va dire que je vous crois sur parole. »

« Dommage … voyez-vous ça. »

Il a relevé, bien évidemment. Et c’est marrant parce qu’en l’observant, il remarque qu’elle semble déçue, un peu. Ça s’entends surtout dans les mots qu’elle prononce et ça l’inciterait presque à faire demi-tour, à revenir sur ses mots. Ce qu’il ne fait pas, bien évidemment. Il agite la tête, sous en souriant. Elle l’amuse. Alors il termine son verre d’une belle traite avant de se tourner vers elle. Elle s’est assise, et ses yeux quittent son visage, suivent lentement la ligne de son cou, se glissent sur ses épaules, le long de son bras jusqu’à sa taille pour finir sur ses jambes. Il n’est sans doute pas discret mais il estime qu’il n’a pas spécialement à l’être après la proposition qu’elle vient de lui faire.

« Va pour la prochaine fois. »

Il reprend un peu de sérieux. Il se met à réfléchir un instant, vérifiant rapidement s’il n’avait rien oublier de mentionner, si d’autres conditions ne lui venaient pas en tête …

« Soyez là, c’est ma seule demande. Et … Je m’appelle Adam. »

Bon, d’accord, peut-être qu’il en fait un peu trop … il est à peine reconnaissable, mais seule une personne qui le connait plus qu’elle peut le savoir. Elle ne peut pas faire la différence entre ce comportement avenant, et sa personnalité habituellement fermée, voir hermétique aux autres. Disons qu’elle a des arguments. De jolis arguments. Elle est le genre de femme sur laquelle il peut craquer facilement, c’est un fait, parce que oui, Adam aussi à un genre de femme.

« Parfait, alors nous avons un accord. »

Et avec un peu de chance, il pourrait profiter de sa … présence, lors de ces soirées. Avec de la chance, oui, parce que finalement, ça dépend encore de beaucoup de paramètres. Il attrape la feuille qu’elle lui tend, et puis le crayon, il prend quelques instants pour relire. Il est un peu étonné du caractère très officiel de tout ça mais au final … ce n’est pas dérangeant, n’est-ce pas ? Il comptait honorer sa part du contrat, qu’il soit établi et signé ou non. Il vient finalement y apposer sa signature, avant de faire glisser le papier devant la jeune femme, à nouveau.

« Et voilà. Tout me va. Il semble que nous seront amenés à nous revoir très prochainement alors… »

Elle paye la serveuse, il ne bouge pas. Il ne dit rien, pas la moindre remarque, rien. Il se contente de l’observer parce qu’il sait que cet entretien bien que très plaisant, touche à sa fin. Il va partir maintenant, mais il ne s’inquiète pas, il sait qu’elle reviendra par ici sous peu. Un accord est un accord, n’est-ce pas ? Un soupire s’échappe de ses lèvres, elle se lève, mais à sa grande surprise, elle ne prend pas tout de suite ses affaires pour quitter la taverne, non. Elle s’approche, ses mains se posent sur ses cuisses, tandis que son visage prend place juste devant le sien, à quelques millimètres à peine. Quelques mots. Et elle vient effleurer ses lèvres … c’est à peine un baiser.

Il fronce les sourcils, légèrement. Il ne bouge pas tandis qu’elle ramasse ses affaires, mais il se retourne juste à temps pour la voir quitter la taverne. Il attendra sans doute avec la même impatience.