Il avait quitté Karanes bien vite. Il n’avait pas voulu s’y attarder, trop lourd sans doute, il voulait penser à autre chose, surtout qu’il avait croisé son frère et que l’entrevue entre les deux n’avait durer approximativement que trois minutes. Il avait grand besoin de se détendre, oui. Besoin de penser à autre chose, de vivre cette vie qu’il avait choisie, une vie libre de contraintes chiantes comme celles que pouvaient parfois lui imposer l’aînée de la famille royale.

C’est comme ça qu’il avait atterri à Chlorba. En fait, c’était un peu du hasard, il n’avait fait que se laisser porter au gré de ses envies, c’est comme ça que Lucian aimait agir. En se laissant aller, au hasard, sans prévision, sans plans. Et pour le coup, il n’était clairement pas mécontent puisqu’ici se trouvait ce cabaret, le Moulin Rose. Il y avait mis les pieds plusieurs fois, et il avait apprécié ce qu’il avait pu y voir … les danses autant que les danseuses. Ou alors avait-il une légère préférence pour les danseuses. Il n’aurait su le dire.

Lorsqu’il entra, il s’approcha du bar directement, le regard attiré par ce dos dénudé offert à sa vue. Ses yeux le parcoururent un instant, il du même se faire violence pour ne pas la toucher, pour ne pas laisser l’un de ses doigts glisser le long de sa colonne. Il s’était ravisé au dernier moment, préférant finalement s’asseoir près d’elle pour se commander à boire. « Puis-je troubler cette solitude ? »

Un sourire. Il l'observe, en réalité il n'en perd pas une miette, surtout pas quand elle se tourne vers lui, lui offrant autant son attention qu'une vue plus dégagée sur ses jambes. Il ne sait pas qui elle est. Il est pratiquement certain de ne l'avoir jamais croisée, il se dit qu'il s'en souviendrait forcément. Autant à cause de ses cheveux que de ses yeux.

“N'était-ce pas à moi de poser cette question, normalement ?” Elle l'a prise de court. Il n'a pas pu faire son numéro de gentleman, ce gentleman qu'il n'est pas. Ou alors seulement à moitié. “Mh. Conseillez moi. J'ai envie d'un peu de nouveauté ce soir.”

A leur prochaine rencontre hein ? Elle ouvre des portes, il aime ça. Il apprécie beaucoup, même. Elle n’en fait pas trop, mais elle n’en fait pas trop peu non plus, et c’est tout ce que Lucian aime chez une femme, entre autres choses, bien évidemment.

Il pose son coude sur la table, vient appuyer son visage contre sa main, et il se met à l’observer tandis qu’elle semble en pleine réflexion quand a la boisson qu’elle va choisir pour lui. Elle ne tarde pas à avoir une idée, et elle commande directement deux verres qui ne mettent pas bien longtemps à arriver. De jolis verres, de jolis cocktails. Comme ça, à l’allure, on dirait s’attendrait presque à un cocktail sucré, fruité, le genre de cocktail qu’aiment les femmes généralement car ils masquent le goût trop prononcé de certains alcools. Cependant, il n’oublie pas son avertissement lorsqu’il vient tremper ses lèvres dans le liquide. C’est fort. Plus fort que la plupart de bien des cocktails en vérité. Le goût de l’alcool qu’il contient lui est inconnu, cependant. « Curieux … puis-je vous demander ce que c’est ? » Il repose le verre, le sourire aux lèvres. « Mais très bon choix, vous tapez dans le mille avec ça. »

Un sourire. Elle l’amuse. Il détourne le regard quelques secondes, la curiosité l’emporte lorsqu’il entend le changement de numéro, ses yeux d’émeraude fixent la danseuse un instant, mais il revient plutôt rapidement sur la demoiselle aux cheveux roses. Elle lui répond finalement. Un alcool maison, ceci explique cela. « Plutôt pas mal. » Il fait tourner le liquide dans son verre pendant un moment. « Pas la première fois non … disons que je ne passe que rarement par Chlorba. » Mais finalement, voilà qu’il se dit qu’il ratait pas mal de choses, n’est-ce pas ?

Il se redresse un peu. Il ne peut pas s’empêcher de la regarder, de la détailler, il ne retient pas ses yeux de se balader sur ses courbes. Bien au contraire. « Mais si l’alcool est aussi bon et les femmes aussi belles … je suppose que ça pourrait devenir une habitude. » Il termine son verre d’un trait, le repoussant légèrement sur le bar. « Quel est votre nom ? » Ça l’intéresse. Elle l’intéresse.

« Hélia. » Il répète son prénom, tout en hochant la tête. Il l’observe toujours lorsqu’elle termine son verre d’alcool, il sourit lorsqu’elle lève son verre, puis s’approche de lui pour finalement lui tendre la main. Une main qu’il saisit aussitôt, relativement délicatement. Il dépose un baiser sur le dos de celle-ci, puis relève la tête tout en serrant toujours ses doigts entre les siens. « Lucian. » Son prénom est toujours très suffisant quand il se présente. Il rechigne à en dire plus, c’est toujours très compliqué d’en apprendre plus que ce prénom, sur lui. Il aime sa discrétion, encore plus sa liberté.

« Alors dîtes moi, Hélia, vous travaillez ici ? » Elle ne l’a pas dit clairement, mais sa façon de parler, de dire les choses, les connaissances qu’elle semble avoir de l’endroit en disent long. C’est juste une entrée en matière pour lancer un sujet qui l’intéresse davantage. « Que faites-vous, ici ? » Après tout, les filles qui travaillaient ici pouvaient avoir bien des domaines … il était intéressé par le fait de savoir dans lequel, voir lesquels Hélia était douée.

Toujours aussi charmeur … l’opposé même de ses deux frères. Il se serait sans doute attirer leurs regards désapprobateurs s’ils avaient été là, avec lui. Lucian, c’était le vilain petit canard, quoi que, pas réellement si vilain que ça, au final. Il était tout simplement bien différent des deux autres garçons. Il aimait s’amuser, quand Rohan et Aedan avaient eux leurs fameuses responsabilités. Lui, il aimait tout faire pour se détacher de tout ça. Une jolie fille, un regard aguicheur, quelques mots susurrés, c’était tout à fait suffisant pour l’accaparer totalement. Hélia avait réussi. « Je vois… » Une affaire de famille, du moins, s’il avait tout compris. Telle mère, telle fille ? Ou alors s’agissait-il de ses deux parents, ou juste de son père. Elle n’en avait pas dit plus.

Il fait signe à la barmaid de lui resservir la même chose. Elle faisait tout un tas de choses ici. Danser, chanter, servir à boire et même accompagner un client ou un autre jusqu’à son lit. Il garde le silence un court instant, le temps de recevoir son verre et d’y tremper ses lèvres. Il laisse échapper un rire sonore lorsqu’elle lui demande ce qu’il désire. Il désire un tas de choses. Il est évident qu’il n’est pas contre le fait de monter dans une chambre avec elle, bien au contraire. Pourtant … visiblement, il a choisi de prendre tout son temps. « Est-ce que ça vous plait ? Ce que vous faites ici, je veux dire. » Il la fixe, il soutient son regard sans aucune gêne, aucun problème, puis il se penche légèrement en avant et ses lèvres viennent se placer tout près de son oreille. « Mais pour vous répondre … mes désirs sont nombreux, surtout quand je repense à ce dos nu généreusement offert à ma vue tout à l’heure. »

Consentir à voir plus… ça le fait sourire. Il faut savoir que Lucian n’est pas du genre à refuser ce genre de chose. Bien au contraire. Certains diront que pour son âge, il a déjà eu trop de femme dans sa vie, souvent pour une simple nuit, parfois plus. Rarement plus, cela dit. Il ne s’attache pas trop, ne donne pas forcément non plus l’occasion d’en voir plus, ou plutôt, d’en apprendre plus sur son compte. Il craint trop les femmes intéressées par son nom, sa position, sa fortune, aussi. Il n’a pas besoin de ça …

« Peut-être bien … » Il laisse planer ces quelques mots, tout en baissant les yeux pour observer cette main qui vient effleurer son torse à travers sa chemise. Elle a de l’audace, mais maintenant qu’il sait qu’elle travaille ici, ça ne le surprend guère. Il pourrait bien abandonner une somme d’argent tout de suite, maintenant, sur ce bar pour l’emmener dans une chambre et lui ôter cette robe. Cependant … il n’a pas l’air d’humeur à faire les choses dans la précipitation ce soir, bien au contraire.

Il soupire. En réalité, il aurait été étonnant qu’elle lui réponde qu’elle aimait son métier par-dessus tout. Les spectacles ? Peut-être, et encore. Mais le reste ? Non. Probablement pas. « C’est bien de rêver à plus. » Il se tourne légèrement, repose les yeux sur la scène où cette femme, pratiquement nue continue son numéro. Il l’observe sans la voir, elle est belle, mais finalement quelconque dans son regard à lui. « Échappez-vous. » Il repose les yeux sur elle, il arbore de nouveau ce sourire à la fois taquin et charmeur. « Un, deux jours, peut-être plus. Faites ce que bon vous semble, allez où vous voulez aller. Puis revenez … ou pas d’ailleurs. C’est comme ça que je vis, moi. » Utopiste. Il avait parfois tendance à oublier que tout le monde n’avait pas la patience de Rohan quand il s’agissait de lui.

Il a visiblement touché quelque chose, quelque part. Un point sensible, visiblement. Elle a changé d’attitude, il l’observe, il sourit toujours, il ne se moque pas, non, il la trouve simplement attendrissante, maintenant. « Oh, mais c’est simple. » Très simple, même. Ça, il l’avait découvert avec le temps et ça avait été pour le moins … libérateur. « Et si c’est compliqué, c’est que vous l’avez décidé. Moi j’ai juste décidé que je n’aimais pas trop, les choses compliquées. »

Elle bouge, il l’observe tandis qu’elle se penche un peu sur le bar pour attraper une bouteille et deux verres à shooter. Elle finit par se rasseoir, verse un peu l’alcool dans les deux verres avant d’avaler le sien d’un trait. « Le monde n’est pas si vaste, Hélia … on en a vite fait le tour. » Il attrape son shot, l’avale d’un trait à son tour. « Disons que je vois toutes sortes de personnes. Les riches, les pauvres. Les bons, les mauvais. Ma famille est loin d’être simple alors … je suppose que je ressens le besoin de croiser des gens différents, tous les jours. »