Il était à Chlorba depuis maintenant trois jours. Il ne se plaignait pas, Sawyer n’était pas de ce genre-là. S’engager c’était son choix, et il assumait chacun de ses choix, même s’ils se transformaient en erreurs monumentales. La vie ici, le travail ici, tout était bien différent de Stohess, lui qui était originaire du mur Rose, de Trost pour être précis, savait parfaitement à quel point les Brigades Spéciales pouvaient avoir mauvaise réputation auprès de la population, et plus particulièrement au sein de certaines escouades de la Garnison. Pas de chance ; il était justement là pour enquêter sur ces derniers. Bien entendu, se permettre de poser quelques questions à quelques soldats avait rapidement mis le feu aux poudres et depuis, il régnait un climat particulièrement froid. Les habitants n’étaient pas nombreux à accorder leur confiance, du coup, personne ou presque ne répondait aux interrogations de Sawyer, ou même à celles de ses collègues. En clair, la situation était bloquée. Heureusement, au petit matin, le nouveau Lieutenant avait fait son apparition. Sawyer l’avait salué en respectant les usages, et puis, aussi droit que possible malgré sa fatigue, il s’était mis à exposer les faits.

▬ Malheureusement, nous n’avançons pas, Lieutenant. Nous avons obtenu confirmation des faits … mais ça s’arrête là.

Trois jours ça ? Il baissa légèrement la tête, honteux et conscient que ces résultats étaient tout à fait inacceptables.

Il hausse les épaules. A vrai dire, tout le monde avait pratiquement catégoriquement refuser de lui adresser la parole pour lui parler franchement. Il ne savait pas si c’était la peur des représailles, ou juste parce que les Brigades Spéciales n’étaient pas appréciées dans le coin mais tout ça rendait la situation plus que difficile. Cependant …

« Et bien … il y a bien cette jeune femme. Elle s’est contentée de me fermer la porte au nez en voyant une patrouille de la garnison approcher … »

Depuis qu’il l’avait vue, il avait pensé qu’elle avait peur. C’était dommage, parce que contrairement à bien d’autres, elle lui avait semblée prête à discuter avec lui.

« Elle vit près de l’imprimerie. Je pense qu’elle a simplement peur, lieutenant. »

Et il pouvait la comprendre, au fond …

Sawyer avait toujours eu cette réputation, celle d’avoir du cœur, d’être sensible aux autres, compréhensif. Avec certains de ses collègues, ce comportement passait mal, mais il ne s’en formalisait pas. Il n’était pas là pour écraser le peuple et démontrer une quelconque supériorité, contrairement à certains. Du coup, il apprécia grandement la réaction de son supérieur. Il hocha la tête, parfaitement d’accord avec ses ordres et il s’éloigna rapidement pour se changer.

Lorsqu’il retrouva le lieutenant, il était de nouveau en civil. Une tenue plus passe partout que son uniforme. Moins impressionnante.

« J’apprécie, Lieutenant. Votre compréhension, je veux dire … »

Il était bien conscient que de toutes façons, qu’il apprécie ou pas, l’important n’était pas là, mais tout de même. Les gradés comme Saddler étaient rares, alors il avait envie de le souligner.

Il souffle du nez. Il sourit, aussi, lorsque son supérieur se permet un peu d’humour en sa présence. Sawyer n’a jamais eu de problèmes avec l’autorité, mais tout de même, il n’est pas forcément le plus à l’aise au monde en présence de gradés. Il est discret. Trop discret sans doute. C’est d’ailleurs, parait-il, ce qu’il empêche de grimper les échelons aussi, mais ça, il s’en fiche.

« Mh, pas vraiment. J’ai l’impression que c’est une femme de foyer … la maison a l’air d’être celle d’un bourgeois, peut-être l’épouse d’un commerçant. »

Bon, elle lui avait paru jeune mais ça … la richesse offrait énormément de choses.

« Je n’ai pas son nom en revanche. Elle n’a même pas voulu me le donner… »

Et pourtant, dieu sait comme Sawyer savait y faire, en général. Il était charmeur presque malgré lui, un vrai prince charmant. D’habitude c’était amplement suffisant. A croire que la peur l’avait emportée pour cette fois.

« Je vous laisse faire, Lieutenant. »

Et il resta en retrait. Il espérait ainsi qu’elle ne se doute pas de suite de qui ils étaient en voyant le lieutenant qu’elle ne connaissait pas en premier.

Il laisse son supérieur prendre les devants et s’adresser à la jeune femme lorsqu’elle ouvre la porte. Il reste un peu en retrait, mais il a bien vu qu’elle l’a repéré alors il se force à lui offrir un sourire léger qui se veut pourtant rassurant, avant de suivre Saddler, toujours silencieux.

Dans la maison, il observe l’intérieur distraitement, puis, vient s’appuyer contre un rebord de la table en fixant cette pauvre femme. De là où il est, il voit parfaitement qu’elle tremble.

« Peu importe qui sont ces personnes, ils ne vous feront aucun mal, nous pouvons vous l’assurer. »

Il n’est pas très à l’aise à l’idée parler au nom de son supérieur. Du coup, il jette un regard interrogateur au lieutenant avec de poursuivre.

« Si vous avez des noms, il suffit de nous les donner. Nous ferons le nécessaire, je vous l’ai promis, vous vous souvenez ? De plus, vous pouvez avoir confiance, réellement, en nous deux. »

Elle va parler. Il le sent. Elle est tendue, mais pas comme la dernière fois. Non, cette fois, elle semble avoir compris que tu ne lui veux aucun mal. Du coup … d’un coup, d’un seul, elle se met à parler. Elle balance un nom. Un nom que Sawyer a déjà entendu au cours de son enquête, mais il n’interrompt pas la discussion. Il laisse Saddler s’occuper de prendre les informations. Il a entendu parler de ces histoires de volent, de dépouillage. En revanche, quand elle parle de plus grave … il est surprit. Pour ça, il ne savait pas. Il remarque aussitôt que le Lieutenant est tendu, et il y a de quoi. Du coup, il reste silencieux jusqu’à ce qu’il sorte. Il offre un sourire rassurant à cette jeune femme, la remerciant silencieusement avant de la saluer poliment, puis il retourne dans la rue.

« Sale histoire. »

Un euphémisme. En réalité, il est calme là, mais ça le révolte, forcément.

« Le nom qu’elle a donné est souvent revenu dans mon enquête … mais jamais dénoncé de manière aussi clair. »

En clair, ce témoignage mis à part, ils n’ont aucune preuve.

« Mais je crois savoir que son unité est celle qui s’occupe des gardes de nuit dans le quartier… peut-être que vaut le coup de surveiller, vous ne pensez pas ? »

Le prendre sur le fait, ce serait l’idéal.

Il voulait s’en occuper personnellement, évidemment, Sawyer aurait dû s’y attendre. C’est vrai que Lieutenant Saddler lui était toujours apparu comme un homme droit dans ses bottes. Très honnêtement, c’était triste à admettre mais au sein des Brigades, c’était loin d’être toujours le cas. M’enfin … visiblement, la Garnison n’était pas épargnée par les hommes de peu de principes. C’était facile avec une arme et un uniforme d’imposer ses propres règles, ses lois. C’était simple de dominer par la peur … surtout les femmes. Lui qui avait toujours été un homme particulièrement doux et respectueux avec la gente féminine avait du mal à comprendre comment on pouvait ne serait-ce que se conduire de la sorte face à une femme. N’avaient-ils aucune fierté ?

« Evidemment, Lieutenant. »

Il ne le laisserait pas s’occuper de cette affaire seule et il était évident que si des coups venaient à être distribués à un moment donné, il n’hésiterait pas une seconde à exprimer son désaccord avec ses points, bien qu’il soit du genre pacifique à l’accoutumé.

« Je ne sais pas monsieur … mais quoi qu’il en soit, on n’abat pas un arbre en ne coupant que ses branches … »

On éradique les racines pour éviter qu’il ne repousse. Là, c’était pareil, il fallait faire tout arrêter, absolument tout, pour éviter que ça ne recommence une fois qu’ils auraient le dos tourné.

« Dans tous les cas, soyez assuré de ma présence et de mon soutien. »

Plus ça allait, plus il appréciait son supérieur. Ça avait du bon de travailler de façon plus … rapprochée. Ils semblaient avoir pas mal de points communs, et forcément, ça plaisait plutôt pas mal à Sawyer de pouvoir bosser par quelqu’un qui partageaient certaines de ses opinions. Ça le rassurait, aussi.

« Je vous retourne le … compliment, Lieutenant. »

Il le suit, il écoute ses ordres. Il acquiesce de la tête. Et puis finalement, alors qu’il s’arrête, un sourire aux lèvres, il salue son supérieur.

« C’est toujours un plaisir, monsieur. Je m’exécute de ce pas. »

Il finit par lui tourner le dos et s’éloigner. Il avait des ordres. Il avait du travail.