La nuit est tombée si vite. Décidément, impossible pour toi de t’habituer à l’hiver et à ses jours si courts. C’est aussi perturbant que déprimant, n’est-ce pas ? D’autant que tu n’as de travail en ce moment, pas de vrai travail. Tu es assignée à Stohess, pour donner le change. Manquerait plus qu’on se mette à te poser des questions parce que tu ne bosses jamais, tiens.
Un soupire.
De la vapeur blanche s’échappe de tes lèvres tandis que tu ressers les pans de ta cape autour de toi. Il fait si froid. La patrouille est si calme ce soir. Tu progresses lentement dans la rue, tes bottes claquant sur les pavés du district jusqu’à … jusqu’à ce que ce bruit, puis ce cri te parviennent aux oreilles. Tu te figes, une seconde à peine. L’écho des rues t’empêches de savoir d’où ça vient exactement mais tu te mets à courir à travers la rue, l’oreille tandis, tenant fermement ton fusil sur ton épaule.

Les bruits ont cessé. Le cri s’est évaporé. Tu continues de courir en vain, tu as perdu la piste bien trop rapidement et finalement, manquant cruellement d’attention en ne regardant pas devant toi, tu finis par heurter quelqu’un de plein fouet. Le choc t’arrête nette et tu recules d’un pas, avant de tomber en arrière, sur les fesses. Ton fusil glisse de ton épaule et tombe lourdement à côté de toi. « N-non … ça va … je vais bien. » Tu plisses les yeux, tu ramasses ton arme de patrouille et tu te relèves à la vitesse de la lumière. « Vous l’avez entendu vous aussi ? » Tu n’avais pas rêvé, au moins. « C’était pas moi, je cherchais d’où il venait … vous n’avez pas une idée ? » Si au moins il avait une direction, ça pourrait t’aider. Tu te mets à épousseter ton uniforme avant de reposer les yeux sur cet homme … « Excusez-moi, je ne vous ai même pas demandé, mais, est-ce que je vous ai fait mal ? »

Ouf. Tu ne l’as pas blessé. Manquerait plus que ça, que tu te mettes à blesser des civils durant une patrouille toute simple. On t’aurait passé un sacré savon. « La rue du boulanger ? » … Quel boulanger ? Tu as beau faire de nombreuses patrouilles ici, dans ce district, tu n’es toujours pas familière de l’endroit. Pas autant que les gens qui y vivent ou qui y travaillent régulièrement du moins. Tu réfléchis un instant et puis, tu penches la tête, observant la cariole. Tu hésites. Est-ce que tu peux faire ça au beau milieu d’une patrouille ? Vu que c’est dans le cadre de ton travail, tu en déduis que oui. Du coup, tu viens prendre la main qu’il te tend et tu viens t’asseoir sur le banc de bois, juste à côté de lui. Ce n’est pas bien prudent, mais tu n’as pas spécialement peur. Tu n’as pas peur de grand-chose, il faut l’avouer. Et puis ta curiosité l’emporte sur la prudence, très largement. « C’est une heure bien tardive pour traîner dans les rues. A quoi étiez-vous occupé ? » Légèrement suspicieuse, comme toujours. Mais ce n’est qu’une déformation professionnelle. Rien de bien méchant, en réalité.

Celle de la lune … Tu te sens un peu ridicule, pendant un moment. Tu bosses ici, en tant que soldat de patrouille, et tu n’es pas capable de comprendre de quelle rue il parle. Pourtant, tu n’as jamais eu de soucis d’orientation, bien au contraire. Tu ne t’es même jamais perdue, que ce soit ici ou bien ailleurs. Ça te parait étrange. Peut-être que c’est juste une façon qu’ont les gens d’ici d’appeler certaines rues ? Il est vrai que tu n’étais pas très au fait de ce genre de choses. Dans le doute, tu préfères te taire. De toutes façons, il t’y emmène, tu verrais bien tout ça quand tu serais sur place.

Il ne semble pas s’offusquer de ta question. Tant mieux. Ce n’est de toutes manières pas ce que tu cherchais à faire, bien au contraire. C’est ta façon a toi de t’intéresser, de savoir, de te renseigner. Tu n’es pas très subtile, c’est vrai, ta façon de faire pourrait passer pour un interrogatoire mais il faut te comprendre, quand tu veux une information d’habitude tu la prends, tu la cherches, tu ne poses pas simplement la question. Sa réponse, cependant te laisses … perplexe ? Tu penches la tête sur le côté, tout en l’observant. Un sourire éclaire son visage. Est-ce que c’est une énigme ? Parce que ça en a tout l’air. « La lumière ? … De quelle lumière est-ce que vous parlez, exactement ? » Ça pourrait être n’importe quoi, c’est vrai. D’ailleurs, exposé de cette manière, tu te mets déjà à penser à une forme de religion, quelque chose du genre.

La carriole avance lentement … mais au final, c’est suffisant. Tu es capable d’aller bien plus rapidement que ça, par habitude, mais pour le coup, ce n’est pas utile étant donné que tu n’as aucune idée de la direction à prendre. Tu préfères donc te laisser guider, c’est plus simple et ainsi, tu maximises tes chances de faire ton boulot correctement. « Ce n’est rien, ne vous en faites pas. Vous êtes déjà bien aimable de me prêter main forte. »

Il finit par pointer quelque chose du doigt, tu suis … et ton regard observe la direction indiquée. Il parle d’un réverbère. Il explique qu’il allume chacun d’eux, le soir, entretenant la flamme toute la nuit pour finalement les éteindre au petit matin. Alors c’était ça, apporter la lumière. C’était joliment dit, mine de rien. « Vous êtes un oiseau de nuit, alors. » Un sourire étire tes lèvres. C’est bizarre, mais avant qu’il ne te le dise, tu n’aurais imaginé que quelqu’un prenait le temps d’allumer ces lumières tous les soirs. Et pourtant … c’est logique. « J’aime bien travailler la nuit. Je fais mes patrouilles de nuit, presque tout le temps. C’est plus calme. » Sauf quand un hurlement venait déchirer le voile silencieux de la nuit.

De belles rencontres … Il t’adresse un sourire. Tu te demandes un instant s’il parle de toi, ou si tu te fais des illusions, là. Ou s’il parle de choses plus générales. Il n’y a que toi, sans doute, pour se poser ce genre de question. Quoi qu’il en soit, tu réponds à ce sourire par le tien, tu te mets même à l’observer du coin de l’œil, constatant sans mal la presque passion avec laquelle il parle de son univers à lui. Il a l’air de venir … d’ailleurs. D’un pays lointain. Son corps est là, mais son esprit semble à des kilomètres. Ses pensées aussi.

Il engage sa carriole dans une nouvelle rue. Visiblement, c’est la fameuse rue du boulanger … sauf qu’il n’y a rien. Rien du tout. La rue est déserte. Tu fronces les sourcils, il est certain que le cri venait d’ici, seulement tu as besoin de voir pour croire. Du coup, attrapant ton fusil, tu finis par sauter de la carriole et tu t’avances dans la rue avec précaution. Le pas léger, tu progresses comme un félin, tes yeux habitués à l’obscurité, tes sens aiguisés par des années de pratique et d’entraînements. Tu tends l’oreille … tu entends encore quelque chose, c’est étouffé, mais tu entends. Un gémissement. Une respiration. Tu t’arrêtes donc un instant, tu fais signe à l’allumeur de jolies lumières de ne pas bouger et tu t’engouffres dans les ténèbres de la rue … pour en ressortir un instant plus tard en tenant une très jeune femme par le bras. « Elle a eu peur d’un chat. » … Inutile de décrire la mine parfaitement dépitée que tu affiches actuellement. Vraiment.

Tu n’as pas pu retenir un soupire. A première vue, tu es bien moins patiente que ce monsieur qui lui s’inquiète, rassure. Peut-être que tu n’es tout simplement pas douée pour ça … Tu n’es pas méchante, loin de là. Mais sécher les larmes des autres ou effacer les peines, ce n’est pas pour toi, tu fais toujours pire que mieux de toutes façons. Tu hausses un sourcil lorsqu’il évoque sa peur des lapins … ce n’est pas le genre de craintes que tu pourrais avoir, et heureusement.

« Je peux vous raccompagner si besoin est … » C’est encore ton travail, après tout. Mais bon. Elle refuse. Visiblement, elle s’estime hors de protée du grand méchant chat et elle ne vit pas très loin, du coup, elle s’excuse platement avant de s’éloigner. « Ashlynn. Mais vous pouvez m’appeler Ash … je préfère de toutes façons. » Ton prénom sonnait toujours bien trop délicat pour toi. Du coup, tu préférais son diminutif, largement. « Et vous ? … je n’ai pas demandé non plus, avec tout ça. »

« Enchantée, Ewald. » Tu as fait le choix d’ignorer sa question dans un premier temps. Tu as la réponse, en quelques sortes. C’est juste que tu te demandes c’est une raison valable aux yeux des autres. M’enfin. Au final. Peu importe, non ? Il peut bien t’appeler comme il veut. Ton père n’a jamais cessé de t’appeler Ashlynn en entier, lui non plus n’aime pas ce surnom. Pour les mêmes raisons. « C’est tout simplement que je trouve qu’il me correspond davantage … surtout en termine de sonorité en réalité. » Et puis tu le trouves plus pratique, aussi. Moins pompeux. Ash, c’est simple, autant à dire qu’à retenir.

Tu lui souris finalement. « Mais merci, vous êtes particulièrement gentil. » Et doux aussi. Enfin c’est juste une impression, une impression que tu gardes pour toi. « Et merci pour votre aide aussi, encore une fois. » Tu fais quelques pas, pendant une seconde tu songes qu’il faut que tu reprennes ta patrouille, que tu continues ton travail et puis … tu t’arrêtes. « Est-ce que … ça vous dit, de me tenir compagnie un peu plus longtemps ? Ah moins que ça ne vous dérange dans votre travail, bien évidemment. »

Bon. Visiblement il est décidé à t’appeler par ton prénom, ton prénom entier. C’est pas bien grave, ça reste ton prénom, celui qu’à choisi ta mère. Au fond, c’est peut-être aussi en partie parce que c’est son choix à elle … celui d’une inconnue, au final, que tu déformes un peu, tu te l’appropries. T’en sais rien. Tu souffles du nez. Un sourire étire tes lèvres … Normal. Ah bon ? Tu connais bien la population de Stohess, maintenant. Tout comme tu connais encore mieux celle de Yarckel. Les gens ne sont pas particulièrement gentils ou reconnaissants, encore moins coopératifs. C’est une généralité, bien entendu. Certaines personnes doivent sortir du lot, des personnes comme lui. « Vous seriez surpris du nombre de personnes qui n’auraient fait que passer leur chemin, Ewald. » C’est comme ça. Tu vivais et tu travaillais dans les districts les plus riches … et ici, des pourris, il y en avait à la pelle. On pouvait bien oublier les titans, quand on baignait dans la crasse humaine, et qu’on voyait la cupidité, la cruauté dont les hommes eux-mêmes étaient capables.

Tu lèves la tête. Tu regardes le ciel, avant de sortir de la ruelle pour te hisser sur la pointe des pieds. Tu regardes l’heure, sur le haut clocher. « Mh, il y a une petite taverne qui reste toujours ouverte la nuit, la patronne est insomniaque. » Tu regardes autour de toi. Décidément, toi et Stohess c’était par le grand amour. Une catastrophe pour t’orienter ici, comme s’il y avait quelque chose dans ce district qui déréglait ton sens de l’orientation. « C’est dans cette rue, vous savez … celle avec la petite fontaine entourée de fleurs rouges et blanches. » En clair ? Tu étais tout à fait incapable de lui montrer le chemin jusqu’à la dites taverne puisque tu ignorais totalement comment t’y rendre d’ici, tu espérais donc qu’il voit a peu près de quelle rue tu voulais lui parler.

La rue de l’oiseau blanc. C’est bizarre, mais plus ça va et plus les appellations des rues qu’il te donne te semblent … étranges. Peut-être un peu trop simplistes. Tu ne sais pas trop. Toi qui a déjà passé énormément de temps dans cette fameuse rue, près de cette fontaine, surtout lors de tes patrouilles, tu n’as, dans tes souvenirs, absolument pas la moindre référence à un oiseau, qu’il soit blanc ou non. Cependant, tu ne dis rien, non. Pas de remarque. L’important étant finalement qu’il connaisse cette rue dont tu lui parles et qu’il sache comme s’y rendre.

Visiblement, l’idée lui plait. Il a l’air d’apprécier l’endroit et c’est tant mieux. Tu lui offres donc un nouveau sourire, réajustant un peu ton uniforme dans un réflexe récurent, avant de faire quelques pas en avant, dans la direction qu’il vient de t’indiquer. « Marchons, si ça ne vous embête pas. » Ce serait un peu plus long – et encore vu la vitesse de ce cheval, c’était pas certain – mais tu n’avais de toutes façons pas particulièrement envie de te presser ce soir. « Alors, Ewald. Vous avez de la famille dans le coin ? »

Tu oses un regard, puis deux, dans sa direction. Il avance, comme s’il était dans son monde. C’est particulier, pas gênant, non, mais intriguant en réalité. Tu te demandes à quoi il pense, en regardant ce ciel. Du coup, tu lèves le nez toi aussi. Tu contemples la voûte bleutée qui s’étends au-dessus de vos têtes, qui vous domine avec autant de calme, de beauté, que de puissance. Tu te sens petite, et pourtant en rien insignifiante. Au contraire. Comme si … tu étais parfaitement à ta place, ici-bas.

Tu quittes cette contemplation. Tu l’écoutes, fixant les pavés qui s’étendent à tes pieds. Mitras alors. Le district du Roi. Richesse, excès, beauté… « Je suis née à Utopia. » Qu’il portait bien mal son nom, ce district. Là-bas, tu savais que les gens avaient plutôt tendance à voir la vie comme elle était réellement. Que ce soit positif ou bien négatif. « Mais mon père s’est installé à Yarckel. Il est boulanger. Alors on peut dire que je vis là-bas moi aussi, maintenant. » Même si tu n’étais que très peu présente dans cette maison qui sentait bon le pain chaud tous les matins.

Tu t’étires, quelques instants. « Pas de femme, pas d’enfants ? » Et oui, tu allais bien au bout des choses.

« Magnifique. » Un sourire orne tes lèvres. Un sourire léger et paisible. Ça fait du bien, de se contenter de choses aussi simples que d’observer le ciel et de contempler les étoiles. Tu as l’impression, l’espace d’un instant que ça t’arrache à ta vie. Une vie que tu aimes. Une vie que tu as choisie, en grande partie. Une vie que tu n’aurais pas particulièrement envie de changer, mais une vie dont il fait bon s’éloigner, un court instant, parfois. Juste parce qu’elle n’est pas si brillante qu’on pourrait l’imaginer.

« Mh … je ne sais pas trop. J’étais très jeune quand mon père et moi l’avons quitté. » Tu hausses les épaules, tu supposes simplement que là-bas, la vie aurait été bien différente que celle que tu mènes actuellement. Tu n’aurais probablement pas grandi de la même manière, évoluer de la même façon. « Mais pour y avoir souvent mis les pieds, j’aime ce qui s’en dégage. Quant à Yarckel, c’est ma maison, pour moi. J’y ai fais mes premiers pas alors, j’y suis profondément attachée je crois. » Tu viens replacer une mèche de tes longs cheveux, une mèche qui visiblement s’est échappée de ta queue de cheval. « Oh, c’est possible, c’est la grande boulangerie tout au centre du District. Il a beaucoup de clients, il en est très fier. » Et puis surtout, c’est un très bon artisan et son pain est le meilleur au monde, pour toi. Tout autant que les gourmandises qu’il vend, d’ailleurs.

Tu l’écoutes, il évoque des histoires de mariage … courants chez les nobles, tu supposes donc qu’il est issu d’une famille noble. « Oh, non. Je crois que mon travail est un peu trop … prenant. » Et dangereux, aussi. Mais seulement quand on savait ce que tu faisais réellement. « Et puis, j’ai toujours eu du mal à me fixer. » Pas de relations sérieuses jusqu’ici. Jamais.

Rien. Pas une remarque, non, pas la moindre. Certes, Ewald est un peu étrange, relativement particulier, mais tu ne portes aucun jugement … tu l’es aussi, non ? A ta manière. Tu n’es pas celles qui s’attribue le droit de juger les autres. En fait, seul un sourire passe sur ton visage alors que tu hausses les épaules. « Je suis bien d’accord, mais il parait que je ne suis pas impartiale. » Un rire léger. Un regard de biais. C’est bien cela oui, tu apprécies sa compagnie apaisante, douce et calme.

La taverne apparait dans ton champ de vision relativement vite. Tu laisses l’homme passer devant toi, il pose une main sur la poignée sans toutefois ouvrir directement. « J’imagine que vous avez raison. Peut-être. » Tu ne vas pas dire que tu ne crois pas aux contes de fée, ou ce genre de choses, ce serait mentir, tu as toujours été du genre rêveuse. Il n’y a qu’à voir toute cette histoire, dans ta tête, celle qui concerne le Roi, tiens. Comme si c’était possible, ça par exemple. « L’avenir nous le dira. » La porte s’ouvre, tu entres, le remerciant d’un signe de la tête. Tu salues quelques soldats, des visages connus, et puis la patronne, parce que tu es sans doute parmi les habitués de la nuit en général. Tu repères bien vite une petite table et on t’indique qu’elle est libre alors tu files t’y asseoir, profitant de la chaleur de l’endroit qui contraste avec l’extérieur. « Votre poison sera le mien, Ewald. » Autrement dit, tu boiras la même chose, alcool ou non, d’ailleurs.