C’est tellement … détendu. Plus que pendant le festival, forcément. Là, il peut prendre le temps d’apprendre à la connaître vraiment. C’est vrai qu’il a eu une espèce de coup de cœur, quand il l’a vue, la première fois. Du coup, il s’est un peu accroché à elle, il ressent l’envie de creuser, de la découvrir, il a tout le temps de toutes façons et c’est surtout qu’il garde bien en tête qu’ils ne sont tout simplement pas du même monde. C’est pas comme c’était si facile, en pratique. Lui n’avait pas de parents à qui la présenter, un jour, les siens n’accepteraient sans doute jamais sa maigre condition. Ce sera sans doute un peu compliqué de garder ce qu’ils ont à peine commencé à construire, tout doucement, tous les deux.

« Mh, salé, je dirais. J’adore manger ! Et toi ? »

Il ressert un peu sa main dans la sienne, avant de pousser la porte de la taverne. Il s’adresse direction au patron, accoudé au bar, qui lui indique une table et il entraîne la jeune femme avec lui, relâchant sa main pour la laisser s’asseoir. Il s’installe en face d’elle.

« Alors … qu’est-ce que tu aimerais manger ? »

Il arbore cette moue. Celle qui se dessine sur son visage lorsqu’il réfléchis plus ou moins intensément à quelque chose de précis. Qu’est-ce qu’il va manger ? Quelque chose qu’il aime. Quelque chose qu’il mange relativement souvent …

« Le gratin de légumes peut-être … »

De légumes, oui. Malheureusement, c’était bien tout ce qu’Ezra pouvait se payer. Ici, la viande était plus rare, elle était donc extrêmement cher et avec son salaire de soldat … c’était pas possible. D’ailleurs, ça le gêne pas. Elle doit être habituée à bien mieux que ça.

« Désolé, je suis un peu limité, je sais qu’ils vendent de bons plats à base de viande mais … le prix … »

Il grimace un peu.

« Par contre, tu auras ta tarte aux pommes, promis. »

Ça au moins, c’était accessible.

Il sait bien, il l’a voulu après tout. Il sait d’où elle vient, quel genre de famille et d’éducation elle a. ça ne l’empêche pas de vouloir être avec elle. Ça ne l’empêche pas d’avoir envie qu’elle reste là, avec lui et surtout, ça ne l’empêche pas de la désirer. Pourtant, il sait bien quel écart se trouve entre leurs deux mondes, il ne peut pas s’empêcher de penser que peut-être, ça finira par poser problème … qu’elle finira par se rendre compte comme finalement, il a bien peu à lui offrir.

« Bien … très bien alors, je n’ai juste … Je ne veux pas que tu sois déçue. »

Après tout, c’est la première fois qu’il passe du temps ensemble de cette manière, c’est le premier repas qu’ils partagent. Il ne voudrait tellement pas qu’elle garde de ces moments des souvenirs désagréables…

« On est tous habitués à ne pas manger de viandes, ou très peu. Il y a des élevages, surtout du côté du mur Maria mais la viande prélevée part en grande quantité pour Sina. Il n’en reste pas assez pour tout le monde ici, alors évidemment, elle coûte cher. »

Heureusement, c’était comme ça depuis de nombreuses années, personne ne s’en rendait réellement compte. C’était la vie quotidienne. Cependant, il se sent obligé de lui expliquer le pourquoi du comment, elle veut vivre par ici, autant qu’elle commence à apprendre quelques petites choses, non ?

« Mais tu verras que la vie par ici n’est pas si désagréable qu’on peut le raconter. »

Elle a des projets. De vrais projets de vie, ou au moins des envies. Ça le fait sourire, il a voit encore mieux vivre par ici. Oh, il la croit quand elle dit vouloir le faire, c'est juste que c'est quand même plutôt difficile d'imaginer une jeune noble qui n'a jamais rien vu d'autre que Sina et sa vie dorée s'adapter à cette existence plus simple. Plus elle parle, et plus il peut l'imaginer. Se projeter aussi, un peu, probablement. Que ce soit dans sa possible boutique au milieu des tissus et des robes, ou portant cette tenue que portent presque toutes les infirmières.

« Je me blesse pas si souvent que ça ! »

En fait, c'est même la première fois qu'il se blesse de cette manière, de façon aussi sérieuse. La fautes aux circonstances, quoi.

« Mais je suis pas contre le fait de me prendre un mur, ou de rater une marche de temps à autre, si c'est toi qui t'occupe de moi... »

Il taquine, oui. Quoi qu'au fond, il le pense, forcément. Il finit par lever une main, pour appeler la serveuse, il commande le fameux gratin de légumes, et évidemment, il n'oublie pas la belle part de tarte aux pommes.

« Il y a un dispensaire, pas très loin. Ils se sont occupés de pas mal de blessés … peut-être que tu pourrais trouver un médecin qui peut te prendre comme apprentie là-bas. »

Il lui donne des pistes, il sait qu’il a croiser le chemin de pas mal de jeunes médecins récemment, des apprentis qui bossaient au dispensaire, mais aussi des médecins plus expérimentés. Si elle peut trouver une vocation là-bas, pourquoi pas ? Et puis, il doit être honnête, il serait évidemment plus qu’heureux de la savoir ici, pas loin des endroits où il travail plutôt qu’à Mitras. Il pourrait la voir plus souvent et ça, ce n’est pas négligeable.

« Pas vraiment … ça m’est venu comme ça. »

Il hausse les épaules, se sert un verre d’eau de la carafe posée sur la table pour en boire une gorgée. De son côté, c’est pas vraiment une vocation. Il fallait qu’il travaille, il a déniché du travail en s’engageant dans l’armée.

« Je crois que j’avais un truc à prouver. »

Pas mal de choses en réalité, mais ça … il n’en parlera pas.

« Mais c’est pas si mal la Garnison. Même si ça me saoule, la plupart du temps et que c’est pas toujours un plaisir de patrouiller et de gérer les vols de miches de pain. »

Un sourire. Le truc avec Ezra, c’est qu’il n’avait vraiment jamais penser à jouer les héros. Pas assez fou, peut-être, ou simplement pas assez courageux. Un peu des deux, probablement. « Je ne suis pas taillé pour le Bataillon, de toutes façons. » La Garnison c’était limite. S’il avait pu, il se serait tourné vers les Brigades Spéciales. Encore moins de travail, et une meilleure place pour une meilleure situation, un meilleur salaire aussi. Mais il n’avait pas été fichu de se classer parmi les fameux dix premiers de sa brigade. Ça n’avait été une surprise pour personne, mais il se contentait de ce qu’il avait.

Il se redresse un peu sur sa chaise alors que la serveuse vient déposer leurs assiettes sur la table. Il lui adresse un signe de tête poli, ponctuer de son habituel sourire avant de reporter son attention sur la petite blonde. « En plus, ils sont plutôt … spéciaux les soldats du Bataillon. » Il grimace légèrement. « Ma sœur fréquente un type du bataillon, j’ai jamais pu l’encadrer. »

Il se met à triturer sa nourriture avec sa fourchette, tout en réfléchissant. Et puis, il hoche la tête. Il ne détestait pas les soldats du Bataillon, comme certains. Il estimait que leur travail était … nécessaire ? Après tout, si l’humanité était capable d’éliminer des Titans, c’était bien grâce à eux, à leurs sacrifices, et aux informations qu’ils pouvaient ramener de leurs fameuses missions. Cependant, il ne pouvait s’empêcher de se dire que ces gens là avaient tous un grain de folie, quelque part. Ce n’était probablement pas une mauvaise chose, au fond, mais tout de même. « Ils sont fiers. Parfois un peu arrogants, aussi, je trouve … » Il hausse les épaules, en souriant. Elle semble apprécier ce qu’elle mange, et ça lui fait plaisir qu’elle se régale, il n’aurait pas aimé que ce moment ensemble soit gâché par une nourriture qu’elle n’aurait pas appréciée … c’était important, la nourriture, non ?

A son tour, il prend une bouchée dans son assiette. Un peu songeur. « Peut-être … je ne sais pas. Elle vit à Trost, elle est pharmacienne, c’est une fille plutôt sympa … » Il soupire légèrement. « Mais on ne se voient presque pas, elle et moi. On est pas … sur la même longueur d’onde, je dirais. » Le pire, c’est qu’il était persuadé qu’elle apprécierait Ismey et que les deux filles auraient tout à gagner à se rencontrer. « Un jour peut-être ? Je t’emmènerais voir sa pharmacie, si ça t’intéresse. »

Evidemment que ça l’intéressait. Surtout qu’elle avait parlé plus tôt de tenter de devenir médecin, tu ne doutais pas qu’une pharmacie comme celle dont pouvait s’occuper Amelia puisse l’intéresser. Cependant, tu es songeur un instant. Tu pourras lui montrer la pharmacie sans problème … de l’extérieur, mais tu crains un peu d’entrer dans la boutique si facilement. Amelia n’était pas du genre violente, bien au contraire, mais tu savais que certains de ses regards pouvaient clairement te mettre mal à l’aise et qu’elle était tout de même capable de te glisser quelques remarques désagréables.

Elle te surprend. Tu restes quelques secondes comme figé, avant de finalement te mettre à rire devant sa propre réaction. Elle est mignonne. C’est sorti de façon si naturel et spontané. Adorable. Mais c’est aussi effrayant que plaisant, au final. Elle se projette, visiblement, alors ça te conforte dans l’idée que tu pourras la garder près de toi, mais à côté de ça, tu continues de te demander si tu seras à la hauteur. « Je t’y emmènerais, alors. » Avec un peu de chance, elle s’entendrait bien avec Amelia et tu éviterais la potentielle mauvaise humeur de ta sœur. « Elle pourrait t’apprendre pas mal de choses … elle veut devenir pharmacienne attitrée pour le Bataillon. »

Il hausse les épaules. Il espère aussi que sa sœur puisse réaliser ses rêves, c’est une évidence. Pour autant, ce choix de carrière en particulier n’est pas celui qu’il lui plait le plus. Bien sûr, ça la concerne elle, mais tout de même. Une part de lui sait que ce serait une bonne chose pour Amelia, pour sa boutique, elle pourrait vivre plus confortablement encore et c’est tout ce qu’il désirait pour la seule famille qu’il lui restait mais … il jalousait oui, pas sa réussite, mais encore et toujours ce soldat auquel elle s’était attachée et qui pour lui, occupait une place qui lui appartenait, même s’il avait été assez crétin pour la perdre.

Il se met à farfouiller dans son assiette avec sa fourchette pour finalement porter une bouchée à sa bouche, il mâchonne un instant. « Qu’est-ce qui t’empêche de le faire maintenant ? » Ça avait l’air si simple, dit comme ça. Ce n’était pas le cas, c’était évident, mais il n’était pas facile pour Ezra d’intégrer le mode de fonctionnement des familles nobles de Sina. Lui qui n’avait pas de souvenirs de ses parents, lui qui avait toujours été livré à lui-même et qui avait toujours fait ses propres choix – pas toujours les meilleurs d’ailleurs - … l’attache a une famille, et surtout les devoirs qu’on pouvait avoir envers elle lui échappaient totalement. « Je t’aurais bien proposé de vivre avec moi, mais mon appartement était à Odelia. Il va falloir que je cherche autre chose tiens… » Hors de question de rester dans une petite chambre du QG, il finirait par devenir fou. « Quand ce sera fait c’est promis, y passeras autant temps que tu veux avec moi… » Un sourire ponctue cette dernière phrase.

Un sourire. Il l’écoute, tout en mangeant le contenu de son assiette. Il vient ensuite prendre une belle gorgée d’eau fraîche dans son verre avant de se redresser un peu sur sa chaise. « Les habitudes, ça se bouscule, très chère. » Il avait tellement l’habitude de le faire, d’ailleurs. Ezra n’avait jamais été du genre à s’installer dans une quelconque routine, il allait, il venait, il ne faisait que ça, il ne tenait pas en place. C’était d’ailleurs d’autant plus étonnant qu’il en vienne à proposer à la jeune femme de s’installer dans son appartement… Disons que c’était venu naturellement, elle avait besoin d’un toit sur la tête et il en avait un, avant. Il en aurait un, à nouveau, autant qu’elle puisse en profiter, non ? A vrai dire, il n’avait même pas pensé à cet aspect « couple bien installé », du coup, il hausse les épaules. Il avait eu cet appartement à Odélia … dans lequel il ne rentrait que deux nuits par semaine, à peine. Il fallait dire que rien ni personne ne l’attendait jamais là-bas, peut-être qu’avec Ismey chez lui, les choses changeraient ? « J’ai jamais su cuisiner quoi que ce soit. Je fais tout cramer … du coup, espérons que tu réussisses à dompter la cuisine. Moi j’ai abandonné. »

Il termine son assiette. Visiblement, le plat lui a bien plu et c’est tant mieux. Finalement, c’est vrai que la cuisine de cette taverne est plutôt bonne, un coup de chance, le patron de celle d’Odélia n’avait jamais su cuisiner non plus, ses plats étaient infects. « Il te reste de la place pour ton dessert j’espère ? » Il avise la tarte au pomme posée sur la table, à côté de l’assiette de la jeune femme avant d’appuyer son dos contre la chaise en soupirant légèrement. « Tu as un district préféré … où tu voudrais vivre ? J’avoue, que je ne sais pas trop de mon côté. »