Un mois s’était écoulé depuis ton départ de Stohess pour Odélia.
Un mois durant lequel tu avais vu ta vie partir dans tous les sens. Tu l’avais vue défilée devant tes yeux dans les rues du district qui était depuis tombé aux mains des titans. Tu l’avais vu t’échappée aussi à cet instant. Mais, tu n’avais pas vraiment pensé à toi. Tu étais soldat, tu pensais aux autres avant tout. A elle en particulier ce jour-là.

Tu avais pourtant passé un voyage agréable, et le début de la journée n’avait rien présagé de mal. C’est votre rencontre avec Ismey qui avait changé les choses. Elle avait amené la discussion sur un sujet que tu ne maîtrisais pas autant que tu aimerais le maîtriser. Tu avais appris des choses qui t’avaient retournées le cerveau. Et même ta discussion avec Jill n’avait pas arranger les choses, bien au contraire puisque tu avais réussi à la perdre.

Et ça, ça te tuait.

Tu ne savais ni pourquoi, ni comment. Mais tu savais que ça te pesait. Tu n’arrivais pas à comprendre, tu n’arrivais pas à suivre. Tu ne savais même plus quoi faire de tes journées. Tu avais abandonné la chaleur du foyer des Ainsley pour la froideur des murs du bataillon. Tu n’étais pas très bien accueilli, au fond. Les brigades spéciales n’étaient pas trop appréciées au sein du bataillon. Et il pouvait le comprendre. Alors tu ne pipais mot, acceptant les critiques sans réagir, bouillonnant parfois à l’intérieur.

Mais c’était de plus en plus difficile.
Un mois après tes blessures, tu pu enfin te libérer de l’écharpe. Tu avais besoin d'une bonne dose de rééducation tout en faisant attention à ne pas trop forcer. Alors, tu avais commencé à muscler peu à peu, passant du temps en salle d’entraînement. Tu n’avais pas repris une mobilité complète et tu tremblais encore un peu lorsque tu sollicitais trop ton bras. Mais tu allais bientôt pouvoir retourner à Stohess. Bien qu’au fond, tu étais inquiet. Le titan qui était apparu à Karanes et qui avait ravagé la ville deux fois de suite n’avait pas aidé à ta tranquillité d’esprit. Tu avais pu protéger la mère et la sœur de Karhlya de justesse, mais tu n’avais pas eu de nouvelles de son amie. Tu t'étais simplement renseigner et tu savais qu’elle n’était pas sur les listes de victimes, c’était suffisant, pour l’instant. Tu n'avais aucune idée de comment te présenter à nouveau devant elle sans être gêné.

Toujours était-il que, ce soir-là, Tu avais cette espèce de rage au ventre. Certains membres du bataillon t'en avait fait voir de toutes les couleurs, ne pas avoir de nouvelles de Karhlya, la situation en elle-même, ton incapacité à se battre. Tout te sortais par les yeux aujourd’hui.
Tu avais alors commencé la soirée contre un sac de boxe, envoyant rageusement tes poings contre le sac de sable. Tu voulais évacuer cette colère qui te lancinait le cœur et l’estomac pour rester cordial, pour rester serein. Finalement, tu n’étais resté qu’une bonne heure avant de sentir ton épaule se rappeler à ton bon souvenir. Tu ne devais pas trop forcer. La frustration s’ajouta à la colère et tu quittas la salle d’entraînement pour aller prendre une douche.

Tu avais besoin de sortir d’ici.
Une fois rhabillé en civil, tu déambulas un moment dans les rues du district de Karanes sans réellement savoir où tu allais, sans savoir comment tu allais rentrer. Tu voulais juste sortir et respirer.

Et puis, on te donna l’occasion de te défouler. Tu passais au détour d’une ruelle lorsque tu entendis une jeune femme crier. Visiblement, elle était ennuyée par un homme. Il était seul, du moins c’est ce que tu en avais déduit lorsque tu avais observé la zone. Tu t’étais alors approché pour lui venir en aide. Tu ne lui avais pas tout de suite sauté dessus, tu t’étais contenté de lui dire de partir. Mais au bout du compte, il t’avait provoqué. Une provocation de trop pour cette journée, cette semaine, déjà bien compliquée. Alors, tu avais cogné. Tu ne t’étais même pas posé la question. T’avais laisser parler ce côté sauvage qui sommeillait au fond de toi, que tu enfouissais jour après jour. Tu avais cogné jusqu’à ce que le type arrête de se débattre pour se soumettre. Et quand il avait arrêté de se battre, tu t’étais levé et tu l’avais plaqué au mur, finissant par une clé de bras.

« Alors fils de pute, tu vas arrêter de t’en prendre aux jeunes femmes sans défenses ? »

Ta voix était coupante comme une lame trop aiguisée et la lueur qui dansait dans le fond de tes yeux était trop dure, trop violente. Tu ne te laissais jamais aller à cette violence, elle t’effrayait bien trop. Tu ne voulais pas finir comme ton père. Tu refusais d’être comme lui. Mais elle était ancrée au fond de toi, cette violence.

Tu n’avais rien entendu, tu n’avais rien vu venir. Et c’est la voix de Veronika qui te fit presque sursauter. Tu avais l’air fin, dans cet état devant ta subalterne, devant ton amie. Qu’est-ce qu’elle devait bien penser de toi ? Pour autant, tu ne réduis pas ton emprise, tu l’accentuas presque un peu plus, laissant l’homme souffrir sans que tu t’en soucies. Tu en avais marre de ces mecs qui ne respectaient rien ni personne. Ils ne méritaient pas de rester sur terre.

Et puis, une autre voix retentie. Ça faisait un moment que tu ne l’avais pas entendue, celle-là. Décidemment, l’univers semblait s’aligner pour te faire lâcher prise. Mais tu n’y voyais rien. Tu n’avais pas envie de voir. Et au fond, les paroles de Ian étaient censées. Tu avais envie de lui casser ce bras, pour qu’il se rappelle toute sa vie qu’on ne touchait pas une femme qui n’en n’avait aucune envie.

C’est pourtant une troisième voix qui te sorti de ta torpeur. Sans savoir si ce serait réellement positif ou non. Tu avais pourtant senti Ian tenter de te faire bouger mais, tu n’avais pas relâché d’un cil. D’un millimètre. Tu étais trop occupé à laisser ta colère prendre le dessus.

Mais elle était arrivée et, à trois contre un, tu n’avais pas vraiment voulu continuer de te battre. Tu n’avais pas envie de te retrouver aux arrêts pour une bêtise. Ni même d’abîmer un peu plus ton épaule. Alors, tu sentis un coup dans ton épaule et tu le relâchas. Il retomba au sol et tu le surplombas de toute ta hauteur.

« Si tu touches encore une fois à une femme sans qu’elle ne t’ait donné son autorisation, je te jure que je te trouverais et que je te ferais la peau. »

Personne n’aurait pu lui dire que tu mentais, que tu bluffais. Tu en étais capable et, tout ceux qui étaient présents ici le savaient. Tu reculas et laissa ton dos retomber sur le mur d’en face, un soupir quittant tes lèvres. Tu enfouis tes poings blessés dans le fond de tes poches, le cœur toujours aussi lourd. Tu laissas ta tête poser contre le mur, ton regard se posant sur le ciel.

« Fallait bien que ce soit dans un moment comme celui là qu’on s’retrouve tous ensemble. »

C’était surprenant. Mais pas désagréable. Au fond, tomber sur ces trois là ce soir, ça n’aurait pas pu être mieux. T’es un peu gêné de t’être laissé aller comme ça et, tu te passes une main sur le visage.

L’amitié, ça va, ça vient. Tu aimais chacune des personnes présentes dans cette assemblée. D’une manière différente, peut-être. Sûrement. Mais tu pouvais dire sans aucun doute que tu aurais pu perdre la vie pour n’importe lequel d’entre eux.

Et pourtant.
Pourtant, tu avais cessé d’écrire à Karhlya, comme si la savoir si loin était trop difficile, comme si les mots ne suffisaient plus à combler les kilomètres qui vous séparaient. Comme si savoir que tu pouvais la perdre à tout instant avait été un frein.
Tu avais un peu perdu Ian de vu aussi, dès qu’il avait quitter le mur Sina. Tu n’avais pas compris la raison de son transfert au fond, mais tu comprenais. Toi aussi, il t’était parfois venu des envies de faire plus que ce que tu ne pouvais faire alors que tu étais dans les brigades spéciales.
Veronika, quant à elle, ça a toujours été plus subtile. Tu l’apprécies vraiment, tu sais quelle est bourrée de qualité et que ses défauts lui ont été imposés par la vie. Tu n’as jamais cherché à lui tirer les vers du nez, à chercher à savoir comment elle en était arrivée là. Parce que tu estimais que, si elle avait eu envie d’en parler, elle l’aurait fait. Tu sais qu’au fond, elle voudrait ton grade, ta place. Et, à l'image de ceux qui sont dans ton entourage, elle a du mérite. Mais tu n’es pas prêt à lui laisser cette place que tu as si durement gagnée. Alors, c’est celle dont tu es resté le plus proche par la distance, celle qui est toujours dans ton entourage. Mais qui reste si éloignée par le cœur.

Ton regard se perd un instant sur Karhlya, sur son geste pour faire déguerpir ce type qui ne demande pas son reste. Dommage. T’aurais bien remis un petit coup. Même si tu sais que c’est mal, même si tu sais que tu ne dois pas te laisser aller comme ça.

Les voix s’élèvent, les unes après les autres. Veronika. Ian. Karhlya. Un sourire nostalgique étire doucement le coin de tes lèvres. P’tite pomme. Rase-mottes. Les vieux réflexes reviennent. Bien qu’ils ne soient pas si vieux pour eux deux au fond, ils travaillaient toujours ensemble après tout.
Six ans.
Six ans que ça n’était pas arrivé.
Et il avait fallu qu’Odélia tombe et que Karanes soit attaqué pour que vous vous retrouviez là.
Ça n’était pas tellement étonnant.

Tu continues de fixer le ciel, tentant peu à peu de retrouver ton calme intérieur. Tentant simplement de ne pas laisser ta colère reprendre de nouveau le dessus.

« J’avais simplement besoin de prendre l’air. C’est pas ma faute si ce genre de mec existe.  »

Ils n’étaient pas beaucoup à connaître ton aversion particulière pour ce genre d’individus. Ni à savoir pourquoi d’ailleurs. C’est quand même la dernière chose que tu étalais aux yeux de tous. Mais, habituellement tu te contentes de les faire juger. Pas de les passer à tabac.

Tu les écoutes parler, les uns après les autres. Tu entends que personne n’a vraiment envie de s’étendre sur le sujet, de savoir la réelle raison de chacun d’être là. Tu l’as vu aussi, qu’elle avait bu. Mais, tu ne savais toujours pas où te mettre. Elle semblait faire abstraction de ce qui s’était passé entre vous et, au fond, tu n’arrivais pas à savoir si ça te faisait plaisir ou non, si c’était seulement à cause de l’alcool ou si elle était passée à autre chose.

Finalement, c’est Ian qui attire ton attention. Tu baisses les yeux sur lui, une lueur surprise au fond du regard. La femme avec qui je vis. Ça voulait tout et rien dire, au fond. Mais, tu connaissais assez ton ami pour savoir qu’il ne disait pas les choses à la légère. Alors comme ça, lui aussi avait trouvé sa part d’amour. C’était bien. Un fin sourire étira doucement tes lèvres. Tu étais heureux de voir qu’ils arrivaient à avancer, à évoluer.

« Une femme, hein. Tu m’as rien dis dans tes lettres. »

Une taquinerie, une envie de l’embêter un peu. Vos soirées sans fin au fil des heures de la nuit te manquaient. Même lorsque vous étiez dans les brigades spéciales vous parveniez à vous voir régulièrement et à discuter. Mais depuis qu’il était revenu à Karanes, ça n’avait plus été pareil.

« Comment elle est, celle qui t’as assagi ? »

Après tout, tu étais curieux. Curieux de voir ce qui avait pu plaire à Ian. Curieux de voir celle qui avait été suffisamment géniale pour lui faire comprendre qu’il était exceptionnel.

Ton rythme cardiaque s’est un peu calmé. Tu sais que tu n’exploseras pas immédiatement, que tu ne leur rentreras pas dans le lard sans raison. Et ça te rassure. S’il y a bien un groupe de personne devant lesquelles tu n’aurais jamais voulu apparaître comme ça, c’était eux. Tu es loin d’être parfait, tu le sais. Mais tu aimes donner le change, te battre pour atteindre une perfection qui, tu le sais, ne sera jamais à ta portée.
Et non, ton estime de toi n’est pas très haute au fond. Elle ne l’a jamais été. Mais là aussi, tu donnes le change. Tu n’en parles qu’à peine. Tu gardes au fond de toi les réflexions qui te viennent parfois à ton sujet.

Alors tu attends que Ian parle, la curiosité te rongeant peu à peu. Tu lui souris lorsqu’il te demande pardon, secouant un peu la tête. Tu ne lui en veux pas le moins du monde, tu voulais simplement l’embêter un peu. Juste un peu. Et puis, le brun continua sur sa lancée. Douce. Curieuse. Intelligente. Mais, ce fut les cheveux roses qui te fient sourire un peu plus. C’est drôle, tu avais croisé Jill quelques temps plus tôt. Mais bon, quel était la probabilité qu’elle soit tombée sur ton meilleur ami, hein ? 0.00001%.

Puis, il lâche une annonce un peu plus importante encore. Tu clignes de l’œil, le fixant, un peu décontenancé. Alors ça existait vraiment, les gens qui s’aimaient et se mariaient en si peu de temps ? Ça ne fit que te renvoyer un peu plus à ta propre situation mais, comme on rabat un drap, tu rangeas ton ressentiment dans le fond de ton crâne pour laisser un immense sourire barrer ton visage.
Et ça faisait plusieurs jours que tu n’avais pas souris de la sorte.

« Fiancé hein. Bien joué garçon ! »

Enfin, tu pouvais parler. Après tout, toi aussi tu étais fiancé. Mais tu n’allais pas vraiment prendre ton cas en exemple. Lui avait l’air heureux d’être fiancé.

« Et tu sais que tu pourras toujours compter sur moi. De quoi as-tu besoin ? »

Enfin, tu avais un petit quelque chose, comme une voix qui te murmurait de te méfier et de ne pas te réjouir trop vite. Mais tu n’avais pas envie de l’écouter, pas maintenant. Pas au moment ou ton meilleur ami te demandait d’être le témoin à son mariage. Ton sourire s’accentua doucement alors que tu ne le quittais plus du regard. Une bouffée de joie s’empara de toi. C’était la meilleure chose qui soit arrivée depuis… Depuis des mois. Depuis que tu avais retrouvé Karhlya, peut-être bien.

« Evidemment que je serais ton témoin. Ce sera même un honneur. »

Un soupir de bien-être quitta tes lèvres. Tu posas finalement ton regard sur Ka, pour la première fois depuis le début de la soirée. Et tu le détournas presque aussitôt pour retourner regarder Ian.

« Ouais, moi aussi je veux en savoir plus. Son nom. Comment tu l’as rencontrée. Et qu’est-ce qu’on peut faire pour toi. »

Tu étais heureux pour ton ami. Sincèrement heureux. Tu le voyais déjà la tête d’une petite famille aimante, rentrant des expéditions pour revenir au cœur d’un foyer chaleureux. Il le méritait tellement. Comme chacune des personnes présentes dans cette ruelle à cet instant. Alors oui, tu souriais. Tu avais mis de côté tes problèmes, quel qu’ils soient. Tu avais rangé ta colère.

Mais pas suffisamment loin.

Ian était là, comme un ado qui ne savait pas comment avouer à ses parents qu’il était amoureux, un peu niais, un peu gâteux. Parce qu’au fond, tu te doutais que c’était les premiers effets de l’amour. Tu glissas un regard à Karhlya, te voulant discret. Ça ne dure que quelques secondes mais tu observes son visage doucement avant de poser le regard sur Veronika. T’es même presque surpris de sentir un peu de poids entre elle et Ian. Tu n’as pas l’historique, tu sais qu’elle n’a jamais été très à l’aise avec vous deux, mais au fond… Tu ne pensais pas que c’était aussi profond. Au bout du compte, tu reportes ton faciès sur celui de ton ami qui vous réitère sa confiance, qui vous demande une discrétion que chacun de vous sait que vous aurez.

Tu hoches la tête, ton sourire toujours bien ancré sur ton visage. Pourtant, ces précautions auraient dû te mettre la puce à l’oreille. T’aurais du savoir. T’aurais dû comprendre quand il avait parler des cheveux roses. Tu aurais tellement aimé qu’il soit heureux dans la simplicité d’un foyer. Sauf que la simplicité, ça n’a jamais été votre truc à tous les quatre. Toi non plus, d’ailleurs. Parce que si tu avais voulu la facilité, tu aurais simplement accepté d’épouser Ismey des années plus tôt. Non, vous n’êtes pas fait pour la simplicité. Ni les uns, ni les autres.

Il aura simplement suffi qu’il prononce les trois syllabes qui composent le prénom de ton amie d’enfance pour que tu perdes instantanément ton sourire. Tu n’as pas vraiment le temps de réagir, Ian enchaîne. Mais tu sais déjà que Jill est mariée. Tu aurais tellement aimé que cette nouvelle n’arrive pas après qu’elle ait épousé cette ordure de juge.

« Kerberos ? »

Une question que tu sais ne pas avoir à poser. Ta voix n’a plus rien de joyeuse non plus et ton regard a chuté sur la terre battue de cette rue. Et s’ils ne te connaissaient pas, ils auraient pu croire que tu n’étais pas heureux pour tes amis. Alors au fond, tu es fou de joie de savoir que ton meilleur ami prendra soin à jamais de ton amie d’enfance.

Et puis, la douche froide. Ton visage se redresse d’un coup d’un seul alors que ses mots ont claqué dans l’air comme une gifle sur un visage. Battue.
Tu es du genre protecteur, Alec. Du genre à vouloir faire attention à tes amis. Et la vie t’a éloignée. De Karhlya. De Ian. De Jillianne. Et d’autres aussi. Et tu te rends compte que, plus les semaines passent, plus tu as arrêté de te soucier des gens. Tu te contentais des mots de Jillianne dans ses lettres. Tu avais cherché à en savoir plus mais tu t’étais rassuré de ses phrases.

« Battue. »

Tu répètes ce mot, tu coupes peut-être la parole, tu as arrêté de réfléchir. Tu n’as jamais senti ce type, le juge Brünner auquel ses parents l’ont forcée à se marier. Tu aurais dû t’interposer. Tu ne sais pas ce que tu aurais pu faire pour elle, au fond.
Tes poings se serrent. Toute la colère que tu avais réussi à renfermer ressort d’un bloc et tu envoie ton poing dans un mur. Tu te fais mal, évidemment. Ça saigne un peu, mais ça ne va pas tarder à couler un peu plus. Mais tu t’en fiches. Tu as besoin d’évacuer.
Et puis, un élan de lucidité te prend. D’un regard extérieur on pourrait croire que tu n’es pas heureux pour Ian. Pas heureux pour Jill. Que tu ne les aideras pas.
Que tu es un gros con.

« Jill est mon amie d’enfance. »

Une brève explication. Tu n’as pas la rhétorique de Ian, tu n’as pas sa tchatche. Les mots se coincent dans ta gorge alors que tu tentes de réfréner un peu ta colère. Alors tu fermes les yeux, tu laisses ton bras retomber le long de ton corps, et tu inspires

« Je l’ai vu la semaine dernière. Je suis content qu’elle soit tombée sur toi, vraiment. »

Tu sais que tu lui avais déconseillé de faire trop vite confiance à l’homme qui l’avait aidée. Maintenant tu sais qu’elle avait raison de placer en lui une confiance presque aveugle. Un rictus étire légèrement ses lèvres et ton regard se pose sur Ian. Il n’est plus aussi clair, non. Ton regard s’est obscurcit, un orage s’installant dans ta pupille brune.

« J’peux pas vraiment te conseiller là dans l’instant. Parce que la seule chose que j’ai envie de faire présentement c’est d’aller trouver cette espèce de pourriture pour lui faire regretter d’être né. Mais j’vous aiderais maintenant que j’sais. J’avais dit à Jill que je voulais rien savoir pour ne pas la mettre en danger. Maintenant, j’vais pas fermer les yeux. J’ferais n’importe quoi pour vous aider. »

Et si tu étais généralement fin stratège, tu n’étais pas capable de retrouver ton calme dans l’instant. Et sans être calme, tu n’arrivais pas à être objectif. Puis, il s’adresse à Ka. Ben tiens. T’avais bien besoin de ça pour en rajouter une couche. Tu la vois bien faire les cents pas. Tu la vois et tu la ressens au fond. Tu secoues un peu la tête.

« Fais le avec ton cœur, c’est tout ce dont elle aura besoin. »

T’étais mal placé pour la ramener à ce sujet mais, fallait bien servir à quelque chose au fond. T’avais pas été très utile. Tu fuyais de nouveau le regard de Karhlya, cherchant un peu chez Veronika ce qu’elle pensait de tout ça. Tu retires ta veste et l’envoie vers elle. Elle est pas bien couverte et tu ne voudrais pas qu’elle attrape froid. C’est pas un geste particulièrement étonnant venant de ta part, tu n’as jamais gardé longtemps ta veste sur les épaules lorsque quelqu’une femme ou un môme montrait des signes de froids autour de toi. Puis bon, t’avais le sang chaud. Ta température corporelle n’était jamais bien basse. Autant que les autres en profitent. Et Karhlya et Veronika n’avaient jamais été les dernières à profiter de ton manteau.

Heureusement que tu n’es pas cardiaque, parce qu’il y avait de grande chance qu’une soirée comme celle-ci aurait eu raison de toi sinon. Et puis, Veronika soulève en toi une question. Tu te tournes vers elle, les sourcils froncés. Tu as repris brièvement ta casquette de supérieur.

« Pourquoi je ne suis pas au cour… » tu t’interromps toi-même en soupirant, perdant instantanément cet air qui t’étais devenu naturel. « Parce que j’étais ici. »

Tu ne savais pas qu’un avis de recherche avait été posé sur une noble à Sina. Pour la simple et bonne raison que ça faisait un mois que tu n’avais pas mis les pieds dans les murs. Ta tête se repose contre le mur alors que Ian s’approche pour se saisir de ta main. Tu vas bien. Ce sont juste des égratignures. Tu n’as même pas si mal que ça. Tu ne peux même pas rassurer ton ami d’un regard, tu en es tout bonnement incapable pour le moment. Et puis, il te relâche et commence à s’excuser. Tu soupires. Il n’a pas besoin de faire ça. Karhlya prend les devants. Elle a l’air agacée par la situation. En même temps, qui ne le serait pas face à vous actuellement ?

« Elle a raison. Tu ferais pareil si les situations étaient inversées, Ian. Alors t’excuses pas. »

Tu te passes une main valide à l’arrière de la tête. Et puis, Karhlya vient vers toi. Si tu n’avais pas déjà été contre un mur, tu aurais eu un mouvement de recul. Pas pour la repousser, évidemment. Mais par surprise. Elle ne t’avait pas accordé un regard quasiment depuis que vous vous étiez retrouvé tous les quatre. Elle s’était adressée à toi au travers des autres principalement. En même temps, tu ne lui en voulais pas. T’avais été suffisamment con avec elle.
Et puis, elle grommèle. Elle prend ta main. Et un frisson te parcourt doucement le bras et la colonne vertébrale. Un sourire étire finement tes lèvres. Comme si le simple fait qu’elle s’adresse directement à toi t’avais calmé instantanément. Bon, honnêtement, tu n’avais pas non plus retrouvé la totalité de ton calme. Mais tu étais apaisé quelque peu.

« Ouais, moi aussi j’suis un crétin, je sais. »

Elle avait enroulé un mouchoir autour de ta main pour contenir le sang. Quand elle te somme de le tenir, tu poses ta main saine sur l’autre, effleurant accidentellement ses doigts au passage, avant de placer le bandage de manière à ce qu’il soit coincé entre ta main et un bout de mouchoir.

Finalement, Ka s’adresse de nouveau à toi. Tu clignes un peu de l’œil, si la situation avait été différente tu aurais pu plaisanter. Mais tu te contentes de t’exécuter.

« En même temps, la ruelle n’est pas suffisamment grande. Si je m’éloigne de celui-là, je tombe sur celui-là. Mais promis, j’éviterais de taper dedans à l’avenir. »

Tu désignes du doigt le mur face à toi, situé à moins de deux mètres. Tu fais quand même un pas en avant et tends ta main non blessée à Ian, pour lui serrer la main et en profiter pour l’attirer à toi dans une accolade fraternelle.

« C’est moi qui devrais m’excuser. Jill est comme une sœur pour moi et j’suis content que vous vous soyez trouvés. Alors t’en fais pas, on va gérer. Par contre, si tu lui fais du mal j'donne pas cher de ta peau. »

Tu ponctues ta phrase d'un sourire. Tu savais que ça n'arriverait pas.
Au fond, même si ça devait mettre en péril ta carrière, tu ferais en sorte de toujours les aider. Tu n’avais pas la même interrogation que Veronika là-dessus, même si tu pouvais la comprendre. Toi, tu savais où étaient tes intérêts aussi. Et si l’armée n’était pas fichue de protéger une femme battue par son époux, alors tu la contournerais pour cette fois.
Sans hésitation.

« J’avais proposé un peu d’argent à Jill pour l’aider à démarrer. Elle me l’a renvoyé à la tronche. Mais si t’as besoin de ça, dis-le-moi. »

Tu ne lui prêterais pas pour qu’il le rembourse mais il savait que, que ce soit Ian ou Jill, ils le feraient. Parce qu’ils avaient leur fierté et leur honneur.

« Je surveillerais l’avancée de l’enquête à Sina. Je n’ai pas été mis dessus donc, en théorie je ne suis pas concerné pour le moment. Il faut qu’on trouve un moyen de communiquer rapidement si j’ai des infos à Stohess qui peuvent poser souci. En attendant, quel est ton plan ? »

Ils allaient devoir trouver un messager de confiance qui ne fasse pas partie de l’armée. Et il n’avait aucune fichue idée de qui il allait bien pouvoir charger de cette mission.